De ledauphine.com
D’habitude, l’avocette élégante prend la poudre d’escampette à la moindre alerte. Elle est plutôt farouche. Tout comme le flamant rose qui n’apprécie pas qu’on tente de l’approcher à découvert. Pourtant, depuis quelques jours, ces oiseaux emblématiques de Camargue semblent être devenus étrangement familiers.
En réalité, ils sont figés par un ensemble de facteurs consécutifs aux conditions climatiques actuelles. Avec le froid, beaucoup d’étangs sont gelés. Même les plus salés. Pour les oiseaux d’eau, la nourriture manque donc brusquement. Les insectivores rencontrent les mêmes difficultés, puisque leurs proies disparaissent.
Conjugué au froid, le manque de nourriture provoque une perte musculaire. L’animal n’a plus d’énergie pour chasser ou pour fuir. Il se fragilise, s’expose. Et meurt. De froid, d’épuisement. Ou victime d’un prédateur.
Lors du dernier hiver “sibérien”, une espèce avait disparu de Camargue
Au Parc ornithologique de Pont-de-Gau, près des Saintes-Maries-de-la-Mer, Benjamin Vollot, chargé de mission, comptait mercredi moins de 600 flamants sur le site. Contre 1 700 recensés avant le coup de froid. Idem pour les sarcelles d’hiver : de 800, la semaine dernière, le nombre est tombé à moins de 10…
Beaucoup ont filé vers des contrées peut-être plus accueillantes. Vers des étangs plus saumâtres. Gruissan, par exemple.
Pas de chance : là-bas aussi, les étangs sont gelés, malgré leur teneur en sel. Hier, la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux) de l’Aude a amené au centre de soins de Pont-de-Gau une dizaine de flamants roses transis. Les autres sont morts…
Comme beaucoup, en Camargue : “Depuis lundi, on compte 40 flamants morts à Aigues-Mortes. Mercredi, on en a trouvé une quinzaine aux Salins-de-Giraud”, ajoute Arnaud Béchet, chercheur et responsable du programme de recherche sur les flamants roses, au centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes de la Tour-du-Valat. Une situation exceptionnelle, mais pas unique. “On atteint le niveau de l’hiver 84-85”, rappelle Benjamin Vollot. Et Arnaud Béchet d’ajouter : “De la Camargue au Roussillon, on avait retrouvé les cadavres d’environ 3 000 flamants. Il fait un peu moins froid qu’en 1985, la situation est similaire, car on compte autant de surfaces gelées”.
Donc, la mortalité pourrait être une nouvelle fois très forte…
Pas de risque à terme sur la biodiversité
À l’époque, toutes les cisticoles de Camargue étaient mortes. De même que presque toutes les bouscarles (deux espèces de passereaux)… On s’attend donc au pire, cette année.
Les premiers touchés sont les migrateurs qui ont “choisi” de rester. “Environ 30 % des flamants passent l’hiver en Afrique”, explique M. Béchet. “Ceux qui restent en France économisent donc l’importante dépense d’énergie que demande la migration. En revanche, en cas de grand froid, le risque est plus important”.
Par ailleurs, pour certaines espèces, la migration de retour a commencé. La cigogne, la barge à queue noire, le chevalier arlequin, etc. Brusquement, ils se retrouvent pris au piège glacial. Tout comme ceux qui, poussés par cette vague de froid, arrivent du nord pour se réfugier dans le sud de la France…
Les animaux sauvages sont-ils les seuls à souffrir de cet hiver sibérien ? Non. Mais les bêtes d’élevage (taureaux et chevaux) s’en sortent mieux.
“Mes étangs sont de vraies patinoires”, explique Bruno Blohorn, notamment éleveur de taureaux. “Nos bêtes ne craignent pas le froid. Mais elles ont besoin de boire. Alors on casse la glace pour plonger une pompe afin de remplir les abreuvoirs et des citernes…”
Malgré tout, il n’y a pas de risque à terme sur la biodiversité : “Après 1985, la mortalité chez les flamants n’avait pas modifié le nombre de nicheurs en Camargue”, rappelle Arnaud Béchet. “Les couples disparus ont été remplacés par d’autres, non nicheurs, et qui le sont devenus. Et la cisticole, pourtant éradiquée de Camargue, a recolonisé les sites de reproduction”.
La Tour-du-Valat : www.tourduvalat.org.
Pont-de-Gau : www.parconithologique.com ; 04 90 97 82 62.