De futura-sciences.fr
Les canaris sont de bons acteurs. En fonction de qui les observe, ils sont capables de varier leur comportement. Tout cela à des fins évolutives, bien sûr, et dans le but d'augmenter leur succès reproducteur. Les canaris (Serinus canaria) sont des oiseaux monogames qui vivent en petits groupes sociaux. Lors de la saison de reproduction, les couples s’établissent sur un territoire et le défendent. La faible distance entre les territoires engendre un véritable réseau social au sein duquel les canaris peuvent épier leurs voisins.
Cet espionnage entre congénères est digne d’un feuilleton d’agents secrets. En effet, Gérard Leboucher en 2004 puis Mathieu Amy en 2007 et 2008 (chercheurs au laboratoire d'Éthologie et cognition comparées à l'université Paris Ouest Nanterre la Défense) ont montré que les canaris évaluent leurs adversaires ou partenaires sexuels potentiels en observant les compétitions entre mâles. « Les canaris extraient des informations en observant les relations entre leurs congénères », explique Davy Ung du même laboratoire, premier auteur de l’étude, contacté par Futura-Sciences. Le terme anglais pour qualifier cet espionnage est « eavesdropping » (quelque chose comme « écoute clandestine » en français).
Eavesdropping et effet d'audience
À partir de ces résultats, ces trois chercheurs se sont intéressés au corollaire de ce phénomène : les effets d’audience (modification du comportement en fonction de la présence d’observateurs). De fait, si les canaris s’épient, il est tout à fait envisageable qu’ils modifient leur comportement en présence d’un « public ».
L’étude, publiée cette semaine dans Plos One, se focalise donc sur la façon dont chaque individu adapte ses comportements en fonction des congénères qui le regardent.
Les mâles canaris ont un comportement plus agressif quand une femelle les observe (l'axe des ordonnées est un indice qui prend en compte différents comportements d'agressivité). © Ung et al., 2011 - adaptation Futura-Sciences
Les résultats montrent qu’il y a bien un effet d’audience chez les canaris. Par exemple, deux mâles en compétition deviennent encore plus agressifs si une femelle les regarde (voir graphique ci-dessus). De même, un mâle mis en présence d’une femelle tentera moins de parader et de s’accoupler si une autre femelle observe la scène. Plus étonnant encore, si l’observatrice n’est pas une femelle lambda mais la conjointe du mâle, ce dernier diminuera encore plus ses comportements de parade extraconjugale.
Augmentation du succès reproducteur
Les canaris semblent donc adapter leur comportement à de nombreux aspects de leur environnement : le type d’interactions, la présence ou l’absence d’observateurs, leur statut social, mais aussi les comportements de ces derniers et des individus impliqués dans l’interaction. « Nous ne nous y attendions pas mais les canaris adaptent leur comportement à tout leur environnement social et pas uniquement en fonction de l’absence ou la présence d’audience, note Davy Ung. Cela semble indiquer que ce comportement n’est pas un simple réflexe et que le canari est capable d’analyser la situation. »
On peut imaginer toutes sortes de comparaisons avec les comportements humains, mais plus sérieusement, quelle est la raison, d’un point de vue évolutif, de ces modifications ? Les explications des chercheurs sont encore hypothétiques. « On a déjà observé des espèces où la femelle augmente ses copulations extraconjugales après avoir vu son mâle perdre un combat. Ça pourrait également être le cas en cas d’infidélités chez le canari, propose Davy Ung. Ou bien on pourrait assister à une réduction de l’investissement parental de la femelle trompée, qui se traduirait par une réduction de nutriments dans la composition des œufs ».
Chacune de ces deux hypothèses aboutirait au même résultat pour le mâle : une diminution de son succès reproducteur. L’évolution pourrait donc avoir favorisé les mâles capables de limiter ces cas de figure par un effet d’audience. Les prochaines études de l’équipe de recherche porteront justement sur ces hypothèses.