De ouest-france.fr
Malgré les cris de rapaces, les pigeons font de la résistance. Certes moins nombreux, ils planquent leurs oeufs derrière les projecteurs dans les tours de la cathédrale.
Dans un coin, deux oeufs dans un nid.
Caqué-caqué-caquééééé... « Mais c'est quoi ce cri ? On dirait un oiseau. Mais lequel ? Et où ? Je le saurai ! Dussé-je enquêter pendant un mois... » Malgré les voitures qui vrombissent le long des quais de l'Odet, on l'entend de la matinée jusqu'au soir. « Caqué-caqué-caquééééé... » Étrange. L'aube passée, les oiseaux sont d'habitude silencieux. Là, pas de répit. Par-delà les murailles des jardins de l'évêché, le cri retentit dans le ciel quimpérois.
À la moindre alerte, je me précipite pour ouvrir la fenêtre. J'alerte mes collègues : « Vous entendez ? » « Quoi ? Les cris des mulets dans l'Odet ? » piaillent-ils. Il y a comme du scepticisme dans leurs sourires.
Je n'abandonne pas. Je pars à la recherche de ce drôle d'oiseau près de la cathédrale et du musée breton. Il est là, je le sens. Avec les touristes, je scrute les flèches de Saint-Corentin. Même quand ils se lassent des gargouilles et du granit, moi je reste planté dans la cour, immobile, les yeux et les oreilles pointées vers les cimes de pierre.
« J'attends... Miracle ! »
Famille, amis, collègues, j'ai beau m'égosiller et tordre la bouche, personne ne reconnaît mes sifflotements approximatifs. Dernier recours, contacter un spécialiste. Je fais chou blanc du côté de l'association cornouaillaise des éleveurs amateurs d'oiseaux.
Mais je dégote enfin une oreille attentive dans le Pays bigouden : « Allô, Gaétan Guyot ? Oui bonjour, je cherche à identifier un oiseau bizarre à Quimper. » Je siffle. « Ça vous dit quelque chose ? » Le chargé d'étude à Bretagne vivante me répond très sérieusement. « Au téléphone, ça ne me dit rien. Envoyez-moi un enregistrement. Je trouverai. On fait ça souvent entre collègues. » Il me croirait presque. Espoir.
L'enquête continue. Et s'enlise. Les jours passent. Je ne parviens pas à enregistrer ce foutu volatile. Par un après-midi torride, comme seul le Finistère peut en concevoir, le cri traverse à nouveau l'Odet et passe comme une plume par les fenêtres de la rédaction. Il me nargue. Je laisse tout en plan et j'arrive essoufflé dans les jardins de l'évêché.
« On en peut plus de ce truc ! »
L'enregistreur à la main, j'attends. Miracle ! Le chant, à nouveau, se fait entendre. Ça y est, je l'ai gravé pour la postérité. Sur ma gauche, les portes du musée sont grandes ouvertes. Peut-être ont-ils entendu quelque chose ?
Dans les anciennes cuisines de la résidence de l'évêque, deux employés caquettent à l'accueil. J'expose mon cas. « Oui, oui, on connaît. On en peut plus de ce truc ! C'est un dispositif anti-pigeon qui reproduit le cri d'un rapace. On l'entend toute la journée nous vriller les oreilles. C'est insupportable. » Un sourire niais sur le visage, mon monde s'écroule : « Quoi ? Pas d'oiseau ? » En tout cas, l'enquête avance.
Le sacristain me renvoie vers les Bâtiments de France. Jean-Yves Cras m'apprend que deux haut-parleurs ont été mis en place depuis deux ans pour effrayer les pigeons. « Avec leurs déjections, ces oiseaux sont un véritable fléau pour les tours. On aurait voulu installer un vrai couple de faucons, mais c'était trop compliqué. »
Deux jours plus tard, je grimpe au sommet des flèches en compagnie d'un guide de la Maison du patrimoine. Des pigeons se reposent sur le faîte de la cathédrale, malgré les cris menaçants déclenchés par des détecteurs de mouvement. Quelques crottes parsèment le dallage. Et puis dans un coin, deux oeufs dans un nid. « Les pigeons doivent être sourds », s'amuse mon guide.
Gael CÉREZ