De ornithomedia.com
Mouette de Sabine (Larus sabini) juvénile.
Photographie : Jacques-André Leclercq
Les voies migratoires et les répartitions hivernales de la plupart des oiseaux pélagiques restent mal connues. Des ornithologues danois, américains et britanniques ont équipé trente Mouettes de Sabine (Larus sabini) nichant au nord-est du Groenland de géolocalisateurs miniatures permettant d'estimer leur localisation en fonction de l'intensité mesurée de la lumière visible. Ils ont présenté dans le volume 154 de la revue Ibis leurs itinéraires migratoires, des zones de stationnement jusque-là inconnues situées dans l'Océan Atlantique et leur principale zone d'hivernage dans l'Atlantique sud.
Les oiseaux étudiés ont effectué en moyenne une migration annuelle de près de 32 000 km (n = 6 oiseaux), un chiffre atteignant au maximum près de 39 000 km (sans compter les mouvements locaux dans les zones de repos ou d'hivernage). Lors de leur migration vers le Sud, elles ont passé en moyenne 45 jours en automne dans le Golfe de Gascogne et dans la Mer des Baléares au large des côtes de France, d'Espagne et du Portugal.
Les oiseaux suivis ont tous hiverné (en moyenne pendant 152 jours) dans les eaux froides et poissonneuses le long de la côte ouest de l’Afrique australe qui bénéficient de l'upwelling du Benguela. Cette région est d'ailleurs aussi fréquentée à cette période par d'autres oiseaux migrateurs marins comme le Puffin des Anglais (Puffinus puffinus) et la Sterne arctique (Sterna paradisaea).
Lors de leur retour printanier vers le nord, les Mouettes de Sabine ont stationné au large des côtes d'Afrique du nord-ouest (Maroc, Mauritanie, Sénégal), y restant en moyenne 19 jours. Elles se sont rapidement déplacées entre ces deux zones, à la vitesse moyenne de 813 km par jour, aidées par les vents dominants.
Trajet migratoire de Mouettes de Sabine (Larus sabini) nichant dans le nord-est du Groenland (A). B) : zone de stationnement autonmal dans le Golfe de Gascogne, C) : zone de stationnement printanier au large du nord-ouest de l'Afrique, et en D) : zone d'hivernage au large de l'Afrique australe.
Schéma : Ornithomedia.com d'après STENHOUSE, I. J et al
La Mouette de Sabine suit globalement un trajet similaire lors ses migrations aller et retour : ce parcours ne suit donc pas le schéma "en huit" (selon un sens antihoraire dans l'hémisphère sud et horaire dans l'hémisphère nord) que l'on observe chez d'autres oiseaux marins effectuant une migration trans-équatoriale à travers l'Atlantique et l'Océan Pacifique.
Découverte au Groenland en 1818, la Mouette de Sabine a une répartition circumpolaire, ses colonies étant éparpillées dans les régions arctiques et subarctiques de l'hémisphère nord. Ses aires d'hivernage sont restées un mystère pendant plus de 100 ans, et jusque dans les années 1950, on pensait qu'elle passait l'hiver au large des côtes de France et d'Espagne, dans le Golfe de Gascogne. Ce n'est pas avant les années 1960 que l'on a découvert qu'elle franchissait l'équateur et qu'elle hivernait dans l'hémisphère sud.
Des études récentes ont révélé différents aspects du comportement reproducteur et de l'écologie de cette espèce : on savait très peu de choses sur son écologie pendant la période internuptiale et rien sur ses escale ou ses sites de rassemblement. Au Groenland, l'espèce se reproduit uniquement en association étroite avec les Sternes arctiques, ce qui n'est pas le cas dans le reste de son aire de répartition. Entre 1975 et 2001, 46 Mouettes de Sabine avaient été baguées au Groenland, mais aucune d'entre elles n'avait été retrouvée. Son statut est qualifié de "quasiment menacé" au Groenland, en raison de sa faible population (100-500 couples en 2008).
La distance minimale de 30 à 40 000 km parcourue par la Mouette de Sabine dans cette étude serait la plus longue parcourue par tous les Laridés du monde. Les deux autres petites mouettes nichant dans l'Arctique, la Mouette blanche (Pagophila eburnea) et la Mouette de Ross (Rhodostethia rosea) restent dans l'hémisphère nord toute l'année et leurs mouvements migratoires sont relativement modestes. Les Mouettes blanches s'éloignent peu de la limite de la banquise dans l'Atlantique Nord et le Pacifique Nord, tandis que la Mouette de Ross se déplace vers le Nord à partir de ses principaux sites de reproduction sibériens, hivernant apparemment dans l'Océan Arctique. Le seul autre Laridé d'Amérique du Nord effectuant régulièrement une longue migration trans-équatoriale est la Mouette de Franklin (Larus pipixcan), qui niche dans les régions septentrionales de l'intérieur de l'Amérique du Nord et hiverne principalement le long de la côte pacifique d'Amérique du Sud, au large du Pérou et du Chili. Cette région est également fréquentée par la Mouette de Sabine, très probablement à partir de ses colonies de l'ouest du Canada, d'Alaska et de Russie orientale.
Rappelons que c'est la Sterne arctique qui effectue la plus longue migration connue de tous les animaux, avec une distance aller-retour moyenne annuelle de plus de 70 000 km.
Source :
STENHOUSE, I. J., EGEVANG, C. and PHILLIPS, R. A. (2012), Trans-equatorial migration, staging sites and wintering area of Sabine’s Gulls Larus sabini in the Atlantic Ocean. Ibis, 154: 42–51. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1474-919X.2011.01180.x/full