De lefigaro.fr
L'accélération des vents leur offre de nouvelles zones de pêche.«Ils sont comme les vautours et vont chercher leur nourriture très loin». Crédits photo : © Russell Boyce / Reuters/X00036
Le changement climatique profite aux grands albatros de l'océan austral… Même s'il ne s'agit que d'une amélioration temporaire, l'étude publiée aujourd'hui dans la revue américaine Sciencepermet de décrire très concrètement les mécanismes qui permettent cette situation. En l'occurrence, l'accélération des vents.
Jusqu'à présent, les impacts de l'évolution climatique sur la faune et la flore ont surtout été observés dans le cadre de la hausse des températures ou de la modification du régime des pluies. «Mais on sait également que le changement climatique provoque une augmentation de la vitesse des vents marins, de 15% en moyenne», rappelle Henri Weimerskirch, chercheur au Centre d'études biologiques du CNRS à Chizé (Deux-Sèvres).
Dans l'archipel français des îles Crozet (région subantarctique de l'océan Indien), la vitesse moyenne du vent est ainsi passée de 8 à 10,5 mètres par seconde (m/s) au cours des vingt dernières années. «Or le vent est un élément clé pour la recherche de nourriture des albatros», poursuit le scientifique qui a piloté l'étude menée avec trois autres chercheurs de Chizé et un du Centre de recherche environnementale de Leipzig (Allemagne).
En suivant depuis vingt ans cette population d'albatros dont l'envergure peut atteindre 3,5 mètres (la plus grande pour un oiseau), les scientifiques ont montré comment ces volatiles ont profité de l'accélération de la vitesse du vent pour réduire leur temps passé en quête de nourriture.
«Ils sont comme les vautours et vont chercher leur nourriture très loin», poursuit Henri Weimerskirch. Ces grands albatros, également baptisés hurleurs, parcourent facilement 10.000 à 12.000 km à chaque rotation. Cela peut aller jusqu'à 15.000 km en une quinzaine de jours avant qu'ils ne reviennent se poser sur une des îles de l'archipel. «S'ils vont toujours aussi loin aujourd'hui, l'accélération du vent leur permet d'aller plus vite, précise encore le chercheur. Le temps passé en mer diminue de 15% à 20%.»
Risque d'abandon du nid
Cette accélération a eu un double impact. Le poids des oiseaux, tout d'abord, a augmenté d'un kilo ce qui est relativement important pour des femelles qui pèsent environ 8kg et des mâles 10kg. Mais surtout cela a permis de diminuer l'abandon des nids: l'incubation des œufs, période au cours de laquelle les deux parents se relaient sur le nid, dure en effet 80 jours.
Quand l'un part pour se nourrir, l'autre couve et jeûne en attendant son tour. Mais si l'attente est trop longue, il risque d'abandonner le nid pour aller chercher lui-même de quoi s'alimenter.«Au cours des 80 jours, les oiseaux alternent environ huit trajets en mer successifs. Mais auparavant ces vols pouvaient durer 13 jours au lieu de 9 aujourd'hui».
Le changement du régime des vents présente également l'avantage de déplacer les zones de chasse des albatros en les éloignant des régions où se concentrent les gros bateaux qui pêchent à la palangre, notamment les thoniers. Des kilomètres de lignes sur lesquelles sont placés des hameçons. Certains oiseaux, attirés par les appâts, s'y accrochent et meurent.
«La population des grands albatros qui est une espèce en voie de disparition a diminué du fait de la pêche dans les années 1970», souligne Henri Weimerskirch. «Mais l'éloignement des zones de pêche et l'amélioration des conditions environnementales ont permis une stabilisation.» Seul petit nuage à l'horizon: le nouveau régime des vents qui est apparu il y a une trentaine d'années au nord de Crozet se trouve aujourd'hui juste au-dessus de l'archipel. Or le mouvement va lentement se poursuivre en direction du sud, laissant les albatros retrouver un régime moins favorable avec les problèmes qui l'accompagnent.