De lefigaro.frDes chercheurs canadiens ont analysé les déjections de martinets de 1940 à nos jours.Le martinet ramoneur, qui vit dans les conduits de cheminée, a vu ses effectifs s'effondrer en Amérique du Nord à partir de 1950 et des premières utilisations du DDT.
À partir de la fin des années 1960, les insectes ont commencé à disparaître à grande échelle en France et dans les pays occidentaux. Ceux qui ont connu cette période ont tous été frappés par l'ampleur du phénomène. Les hannetons, par exemple, sont devenus très rares en quelques années. Les pare-brise et les phares des voitures ont cessé d'être constellés voire maculés d'insectes et de papillons écrasés, comme cela arrivait si souvent pendant la belle saison. Les causes de cette disparition sont toujours discutées, faute de données historiques fiables.
Une étude canadienne apporte toutefois des données entièrement nouvelles. Elles montrent qu'en Ontario l'utilisation massive du DDT à partir des années 1950-1960 a décimé les coléoptères. Par ricochet, cette éradication a modifié le régime alimentaire du martinet ramoneur, un oiseau insectivore dont les effectifs se sont effondrés dans toute l'Amérique du Nord. L'étude, qui fera date, est publiée dans les Proceedings of the Royal Society B.
L'équipe pilotée par Joseph Nocera, de l'université de Trent (Canada), a eu la chance de découvrir de véritables archives écologiques au pied d'une grande cheminée d'un des bâtiments de la Queen's University de Kingston. Désaffectée à partir de 1928, cette cheminée a été le dortoir d'une colonie de martinets ramoneurs jusqu'en 1992, où elle a été condamnée. Ces oiseaux ont la particularité de s'accrocher dans le conduit avec leurs pattes.
Durant toute cette période, les déjections se sont donc accumulées sur plus de deux mètres d'épaisseur. À partir de cet amas de fientes, les chercheurs ont choisi de retracer l'impact du DDT sur les insectes et les oiseaux pour la période allant de 1944 à 1992, qui a vu l'arrivée de cet insecticide, son pic d'utilisation puis son interdiction dans les années 1970.
Régime alimentaire modifié
Il leur a d'abord fallu stratifier le tas dans le temps en s'aidant des éléments radioactifs dus aux retombées des essais atomiques pratiqués après la Seconde Guerre mondiale et présents dans les déjections. Ils ont ensuite analysé l'évolution des concentrations de DDT, puis identifié et quantifié les débris d'insectes non digérés et entièrement desséchés, qui représentent pas moins de 99 % du tas.
Les débris d'insectes révèlent un changement radical dans le régime alimentaire des martinets. Les ressources en coléoptères diminuent avec l'apparition du DDT au profit des punaises, puis redeviennent plus abondantes après l'interdiction de l'insecticide en 1970. Mais elles décroissent à nouveau dans les années 1980, le pesticide étant encore utilisé dans les pays du Sud. «Les pulvérisations de DDT ont décimé les coléoptères et complètement modifié la structure des populations d'insectes autour des années 1960», concluent les chercheurs.
«On n'avait jamais réussi à avoir de telles données sur l'impact du DDT et l'abondance des insectes»,reconnaît Jean-Pierre Savard, de la division de la Recherche sur la faune au Québec. Comme Tim Benton, de l'université de Leeds, il souligne toutefois que le déclin des martinets peut être dû à d'autres facteurs, comme le remplacement des prairies naturelles par les grandes cultures, le changement climatique, la diminution de la taille des cheminées, l'éclairage nocturne, etc. «C'est une des plus belles démonstrations que des oiseaux insectivores peuvent manquer de nourriture à cause des insecticides», indique Jérôme Casas, de l'Institut de recherche sur la biologie de l'insecte (Tours). «Et le phénomène continue»,insiste-t-il.
Sources : http://www.lefigaro.fr/sciences/2012/04/17/01008-20120417ARTFIG00609-la-preuve-des-ravages-du-ddt-sur-les-oiseaux.php