De ornithomedia.comSituation des îles Cebu et Camiguin Sur (Philippines) . 2012 est décidément riche en annonces de découvertes de nouvelles espèces d'oiseaux : le Cabézon du Sira au Pérou, un diamant inconnu sur Timor (Indonésie), un râle non encore décrit dans les îles Nicobar (Inde), .. Et maintenant deux chouettes du genre Ninox décrites aux Philippines par
des ornithologues américains et philippins dans le dernier numéro (28) de la revue Forktail (Journal of Asian Ornithology).
La Ninoxe de Cebu (Ninox rumseyi) et la Ninoxe de Camiguin (Ninox leventisi) se distinguent essentiellement des autres espèces du genre présentes dans l'archipel philippin par leurs vocalises, mais aussi, dans une moindre mesure, par leur plumage et leur morphométrie.
La distinction d'une nouvelle sous-espèce, appelée Ninox spilonota fisheri et vivant dans les îles Tablas, est aussi proposée.
Une taxonomie complexeNinoxes de Camiguin (Ninox leventisi), l'une des deux espèces nouvellement décrites aux Philippines.
Photo: R. O. Hutchinson / Forktail Entre 1850 et 1910, pas moins de sept espèces de ninoxes (Ninox sp.) étaient reconnues dans l'archipel des Philippines : mais depuis 1945, elles ont été regroupées au sein d'une seule espèce polytypique, la Ninoxe des Philippines (Ninox philippensis).
Huit sous-espèces ont ultérieurement été identifiées, pouvant être classées en trois catégories : celles au dessous entièrement strié et à la couronne unie (Ninox p. philippensis, proxima, ticaoensis et centralis présentes sur Luzon et sur d'autres îles), celles à la poitrine tachetée ou barrée, au dessous strié et à la couronne tachetée (N. p. spilocephala sur Mindanao), et celles au dessous barré ou presque uni (N. p. mindorensis sur Mindoro, N. p spilonota sur plusieurs petites îles, et N. p. reyi sur les îles Sulu).
Cette dernière catégorie est particulière : la population de N. p. spilonota sur Cebu est isolée et "cernée" par des d'oiseaux au dessous entièrement strié (philippensis), et celle de l'île de Camiguin Sur est éloignée des oiseaux les plus proches (spilonota).
Il existe des différences marquées (taille, proportions, plumage) entre les oiseaux au dessous presque uni : toutefois, il n'avait pas été possible jusqu'à présent d'identifier de façon précise les taxons en se basant sur des critères morphologiques à cause des nombreuses variations inter-insulaires. Les enregistrements étaient en outre rares, souvent incomplets et de mauvaise qualité. Et compte tenu de la complexité des vocalises des ninoxes, la faiblesse des échantillons sonores disponibles empêchait toute analyse précise. On avait toutefois constaté que le chant de la sous-espèce N. p. mindorensis différait profondément de celui de N. p philippensis (König et al. 1999) et qu'elle devait donc être considérée comme une espèce particulière. D'autre part, il semblait raisonnable de placer les chouettes au dessous uni au sein d'une espèce à part entière qui a été appelée Ninox reyi (Collar et Rasmussen, 1998). Mais une distinction encore plus fine était clairement nécessaire.
La récente multiplication des enregistrements disponibles a permis d'affiner le classement des ninoxes dans l'archipel des Philippines. Pamela Rasmussen, professeur assistant en zoologie et conservatrice adjointe de mammalogie et d'ornithologie au musée de la Michigan State University, explique : "les rapaces nocturnes n'apprennent pas leurs chants, ils sont génétiquement programmés dans leur ADN et ils sont utilisés pour attirer les femelles ou défendre leur territoire; s'ils sont très différents, on peut considérer qu'il s'agit d'espèces distinctes".
Dans l'article paru dans le journal Forktail, les ornithologues proposent de diviser la Ninoxe des Philippines en sept espèces, dont deux nouvelles pour la science, présentes respectivement sur les îles de Cebu et de Camiguin Sur : la Ninoxe de Cebu (Ninox rumseyi) et la Ninoxe de Camiguin (Ninox leventisi).
La reconnaissance d'une nouvelle sous-espèce, appelée Ninox spilonota fisheri en l'honneur de l'ornithologue philippin Tim Fisher, vivant sur les îles Tablas, est aussi proposée.
Les éléments étudiésLes auteurs ont étudié tous les enregistrements disponibles des taxons du groupe Ninox philippensis : la majorité d'entre eux ont été réalisés par R. O. Hutchinson au cours de ses voyages, d'autres par des contributeurs à l'article (publiés dans la bibliothèque sonore Avocet), et certains étaient disponibles dans d'autres bibliothèques sonores (Macaulay Library, National Sound Archive et Xeno-Canto).
177 spécimens du groupe Ninox philippensis détenus dans des collections de différents musées ont été mesurés : plusieurs caractéristiques ont été prises en compte, et des mesures utiles ont été prises (distance culmen-cire, hauteur de la mandibule au niveau de la cire, longueur de la queue, longueur des tarses non emplumés, longueur des ailes, ...). Les sexes n'ont pas été distingués car cet aspect n'était pas indiqué pour de nombreux spécimens. L'âge n'a pas non plus été pris en compte.
Les plumages (couleurs, dessins) ont été étudiés, et pour cela les spécimens ont été photographiés. En plus de l'évaluation traditionnelle utilisée pour déterminer des espèces, le système de Tobias et al (2010), servant à mesurer le niveau de différences phénotypiques entre taxons, a été appliqué : il attribue une note d'autant plus élevée que la différence de plumage, de chant et/ou de dessin est importante (une note de 4 correspond à une grande différence, 3 à une différence moyenne, ...). Un seuil de 7 est nécessaire pour considérer un taxon comme une espèce distincte. Toutefois, cette méthode n'est pas bien adaptée aux oiseaux nocturnes, chez qui les vocalises sont très importantes selon les taxons, tandis que les variations individuelles de plumage sont nombreuses et donc peu significatives.
De nombreuses photos ont aussi été analysées.
La Ninoxe de Camiguin (Ninox leventisi) La Ninoxe de Camiguin (Ninox leventisi), l'une des deux espèces nouvellement décrites aux Philippines : notez l'iris bleu-gris.
Dessin : John Gale / Oriental Bird Club La Ninoxe de Camiguin (Ninox leventisi) est grande, avec un long bec. Ses touffes auriculaires sont courtes et ne sont visibles que de près. Elle n'a pas de sourcils clairs mais elle possède une petite tache blanche au-dessus du bec qui s'étend devant l'œil. Sa face ne contraste pas avec le reste de la tête, et la limite du disque facial n'est pas bien marquée. La couronne est nettement et régulièrement barrée de chamois et de brun sombre. Le manteau est plus nettement barré sur le manteau, les marques devenant moins nettes au niveau du croupion.
Ses couvertures alaires sont entièrement marquées de brun sombre, de chamois et de blanc.
Les primaires sont brun sombre. Les tertiaires sont tachetées. Le dessus de la queue est étroitement barré de bandes pâles et sombres.
La gorge est blanche (visible quand l'oiseau chante), avec quelques stries noires qui s'étendent jusqu'au début de la poitrine. Les côtés du cou et le dessous sont entièrement barrés, davantage que les autres taxons. Des bandes blanches sont visibles de la poitrine à l'abdomen.
Les couvertures sous-caudales sont blanches, avec des barres noires.
L'iris est gris à blanchâtre ou d'un jaune-vert très pâle (jaune chez les autres taxons). Le cercle oculaire est jaune moutarde, tout comme le bec, la cire et les pattes.
Le chant est constitué de strophes courtes et répétées composées d'aboiements rapides et irréguliers et entrecoupées de brèves pauses.
Ecoutez deux enregistrements :
- http://avocet.zoology.msu.edu/recordings/13553
- http://avocet.zoology.msu.edu/recordings/13552
La Ninoxe de Cebu (Ninox rumseyi)La Ninoxe de Cebu (Ninox rumseyi), l'une des deux espèces nouvellement décrites aux Philippines.
Dessin : John Gale / Oriental Bird Club La Ninoxe de Cebu est une chouette de taille moyenne à grande, avec de longs tarses et un bec relativement petit. La tête est arrondie. Elle est nettement barrée dessus, elle est peu marquée ou uniforme dessous, avec le bas-ventre blanchâtre.
Les touffes auriculaires sont courtes.
Elle possède des sourcils blancs nets.
La gorge blanche contraste avec les couvertures parotiques sombres et est limitée de noir.
Le dessus est fortement barré de brun sombre et de chamois. La couronne est fortement barrée de bandes pâles.
Les taches sur les scapulaires sont presque toutes blanches.
Le dessous chamois-rosâtre est faiblement marqué et tacheté.
L'iris est jaune pâle à citron. Le bec et la cire sont olive pâle. Les pattes sont jaune vif, les serres sont noires.
Les vocalises sont constituées de strophes moyennement aiguës lancées rapidement et de façon irrégulière.
Ecoutez deux enregistrements :
- http://avocet.zoology.msu.edu/recordings/10469
- http://avocet.zoology.msu.edu/recordings/10470
La sous-espèce Ninox spilonota fisheri Répartition des ninoxes reconnues aux Philippines : (A : limite rouge) Ninox philippensis, (B : limite bleue) Ninox mindorensis, (C) Ninox spilonota (dont la nouvelle sous-espèce N. s. fisheri), (D - limite marron) Ninox rumseyi, (E : limite violet) Ninox leventisi, (F : limite jaune) Ninox spilocephala, (G : limite verte) Ninox reyi.
Carte : Ornithomedia.com d'après P. C. Rasmussen et al . Cette découverte est le résultat de nombreuses années d'études. Pamela Rasmussen précise : "cela fait déjà plus de 15 ans que nous avions relevé l'existence de nouvelles sous-espèces de la Ninoxe des Philippines, mais ce n'est qu'en 2011 que nous avions assez d'enregistrements pour confirmer qu'il ne s'agissait pas seulement de sous-espèces, mais bien de nouvelles espèces".
Comment expliquer la présence de ninoxes aux parties inférieures relativement unies (comme Ninox spilonota, N. rumseyi ou N. mindorensis) sur des îles isolées les unes des autres, alors que les ninoxes au plumage nettement strié (comme N. philippensis ou N. spilocephala) occupent les grandes îles ? Il est possible qu'il s'agisse de vestiges de populations qui occupaient autrefois tout l'archipel avant d'en être chassées par des oiseaux au plumage strié arrivés au Pléistocène lors de la baisse du niveau des océans. Les points communs dans leurs vocalises plaident en la faveur de "racines" communes.
Le cas de N. leventisi, isolée sur la petite île de Camiguin Sur, est curieux : elle est nettement distincte de N. spilocephala présente sur la grande île toute proche de Mindanao. Son chant la rapproche plutôt de N. philippensis.
Des analyses moléculaires seront nécessaires pour affiner le classement proposé dans cet article.
Certaines de ces espèces sont très menacées par la déforestation, en particulier mindorensis, spilonota, rumseyi, leventisi et reyi.
La population totale de la Ninoxe de Cebu pourrait n'être que de 192 couples éparpillés dans 11 lambeaux de forêts.
La Ninoxe de Camiguin survit dans les forêts qui subsistent au centre de cette petite île.
Sources : P. C. Rasmussen, D. N. S. Allen, N. J. Collar, B. Demeulemeester, R. O. Hutchinson, P. G. C. Jakosalem, R. S. Kennedy, F. R. Lambert & L. M. Paguntalan (2012). Vocal divergence and new species in the Philippine Hawk Owl Ninox philippensis complex. http://news.msu.edu/media/documents/2012/08/0cd74c7a-3869-429d-92e2-f4ff62cd82e8.pdf
- Michigan State Univesrity (2012). Two new owls discovered in the Philippines. Date : 17/08. Michigan Satte University. http://news.msu.edu/story/11142/
Source : http://www.ornithomedia.com/magazine/mag_art595_1.htm