De ornithomedia.comFaut-il s'inquiéter des effets de la croissance du nombre de pygargues en Europe et en Amérique sur l'état de certaines populations d'oiseaux marins ?Pygargue à queue blanche (Haliaeetus albicilla) ayant capturé un oiseau.
Photographie : Marcin Stefańczyk L'augmentation considérable des populations pygargues (genre Haliaeetus) dans l'hémisphère nord au cours du 20ème siècle constitue l'un des grands succès des mesures de conservation des rapaces prises, mais ce rétablissement a eu des conséquences inattendues sur les populations d'oiseaux marins : en effet, ces aigles les affectent directement en tuant des adultes et des jeunes et en les stressant, et indirectement en favorisant des prédateurs opportunistes comme les goélands et les corbeaux.
Les perturbations répétées causées par les pygargues en chasse ont déjà provoqué des abandons de colonies composées parfois de dizaines voire de centaines de couples. Au cours des dernières années, ces rapaces ont ainsi été impliqués dans des déclins locaux d'oiseaux marins dans le nord de l'Europe. Ces effets négatifs sont-ils un simple retour à la normale ou bien aggravent-ils le déclin général des populations d'oiseaux marins ?
Après une longue période de persécutions et d'empoisonnements, le nombre de pygargue a connu au cours des dernières années une remontée spectaculaire. Le nombre de Pygargues à tête blanche (Haliaeetus leucocephalus) en Amérique du Nord a ainsi fortement augmenté depuis la fin des années 1960. Par exemple, dans l'ouest de l'état de Washington, l'accroissement annuel a été de 10 %. Le nombre d'oiseaux hivernants dans le Puget Sound a été multiplié par près de 3 entre la période 1978-1980 et les années 2003-2006. Dans l'Oregon, le nombre de couples est passé de 65 en 1978 à 496 en 2007. Dans la baie de Chesapeake, il a grimpé de 60 dans les années 1970 à 646 en 2001.
En Europe, la population de Pygargues à queue blanche (Haliaeetus albicilla) a aussi connu un accroissement spectaculaire : en Norvège, le nombre de couples est d'environ 3500 actuellement, soit un pour près de 12 km de côte. Dans le sud et le centre de la Suède, leur nombre est passé de 40 à 250 entre 1974 et 2000.
Les réintroductions ont aussi été un succès, comme par exemple dans l'ouest de l'Écosse, où une population en croissance de 42 couples était recensée en 2007.
Les oiseaux marins (œufs, poussins, juvéniles, adultes) constituent des proies importantes pour les pygargues adultes et immatures : ils peuvent les chasser seuls ou en groupes, en mer ou sur terre, de jour comme de nuit. Ils s'installent systématiquement à proximité des colonies : par exemple, en Colombie-Britannique, au moins une aire était observée à proximité de 72 % des 67 colonies d'oiseaux marins dans les îles de l'archipel de Haida Gwaii. Dans le nord-est du Pacifique, ces proies sont essentielles en hiver après la fin de la période de fraie du saumon.
En Amérique du Nord, au moins 39 espèces d'oiseaux marins sont chassées par les pygargues. Dans les îles Aléoutiennes, l'espèce la plus fréquemment tuée est le Fulmar boréal (Fulmarus borealis), tandis qu'à Terre-Neuve, ce sont surtout des Mouettes tridactyles (Rissa tridactyla), des Goélands argentés (Larus argentatus) et des Guillemots de Troïl (Uria aalge) qui sont recherchés.
En Norvège, une analyse des restes de proies du Pygargue à queue blanche menée entre 1956 et 1980 a permis de montrer que 56 % des prises étaient des oiseaux marins, principalement des Eiders à duvet (Somateria mollissima), des Cormorans huppés (Phalacrocorax aristotelis) et des Guillemots de Troïl.
Le Fulmar boréal (Fulmarus boeralis) est l'un des oiseaux marins les plus chassés par les pygargues.
Photographie : Daniel Peris Globalement, les Fulmars boréaux, les Laridés (goélands, mouettes) et les Alcidés (guillemots,..) constituent les proies principales.
Dans la Mer d'Okhotsk (Sibérie orientale), les oiseaux marins représentent la très grande majorité du tableau de chasse du Pygargue de Steller (Haliaeetus pelagicus).
Les pygargues entraînent aussi une perturbation du comportement des oiseaux marins : une partie croissante de leur temps disponible est alors consacrée à la surveillance des alentours, au détriment du temps dédié à la recherche de nourriture. Les Alcidés modifient leur comportement quand des aigles sont présents : ils essaient par exemple de synchroniser leur approche et diminuent leur niveau général d'activité, restant notamment plus longtemps dans leurs terriers. Ils diminuent aussi la fréquence d'approvisionnement de leurs petits. Ils se nourrissent plus au large et reviennent plutôt la nuit, comme cela a été noté chez le Guillemot marbré (Brachyramphus marmoratus). Un comportement similaire a été noté chez deux espèces de macreuses en Écosse.
Les oiseaux marins changent aussi le type d'habitat qu'ils choisissent pour nicher : en Norvège par exemple, dans les secteurs où les Pygargues à queue blanche sont en expansion, les Guillemots de Troïl préfèrent s'installer dans les éboulis que sur les crêtes des falaises, plus exposées. A Terre-Neuve, des guillemots ont abandonné des sites de nidification placés au sommet des falaises entre 2004 et 2010, préférant nicher à mi-hauteur dans les falaises. Au contraire, les Goélands à ailes grises (Larus glaucescens) choisissent plutôt de nicher dans des zones plus ouvertes quand des pygargues sont présents afin de pouvoir mieux les voir s'approcher. Ils choisissent aussi les secteurs avec une végétation herbeuse plus dense, comme sur Grey's Harbor dans l'état de Washington (États-Unis). Pour réduire les risques de prédation, les cormorans se reproduisent de préférence dans des grottes dans l'archipel d'Hada Gwaii (Colombie-Britannique).
Les associations entre proies potentielles constituent aussi une technique fréquente de défense, comme cela a été vu entre des Guillemots de Troïl et des Cormorans pélagiques (Phalacrocorax pelagicus) sur Triangle Island (Colombie-Britannique) pour se protéger du Faucon pèlerin (Falco peregrinus). Paradoxalement, la présence d'un couple de Faucons pèlerins, en éloignant les pygargues, a aussi permis aux oiseaux d'une colonie de la région de se reproduire avec un meilleur taux de réussite !
Parfois, des oiseaux nichent à côté d'une aire de pygargues, profitant du comportement territorial du couple résident, qui chasse les autres rapaces.
La présence des pygargues modifie aussi la composition des colonies, entraînant une disparition des espèces les plus diurnes comme le Guillemot de Troïl.
Le passage des pygargues provoque souvent des paniques et des envols, parfois répétés, entraînant des bris d'œufs, des chutes de poussins et parfois des abandons de nids. Ces passages peuvent favoriser des prédateurs opportunistes comme les Urubus à tête rouge (Cathartes aura), des Laridés ou des Corvidés (corneilles, pies). Sur Landarte Island (Colombie-Britannique), Verbeek a estimé que 22 % des œufs de cormorans étaient dérobés par les Corneilles d'Alaska (Corvus caurinus), principalement après des perturbations causées par les pygargues.
Ceux-ci peuvent finalement causer, directement ou indirectement, des déclins locaux de populations d'oiseaux marins : on a constaté que les Pygargues à tête blanche avaient par exemple provoqué dans certaines régions des chutes du nombre de couples de Guillemots de Troïl, de différents cormorans ou de Goélands à ailes grises, mais aussi par exemple, et de façon plus inattendue, une diminution locale du nombre de grèbes hivernants en mer. Le Pygargue à tête blanche serait aussi à l'origine du déclin dramatique de certaines populations d'oiseaux marins dans l'Oregon (États-Unis). Dans la Witless Bay Ecological Reserve (Terre-Neuve), la population nicheuse de guillemots a baissé de plus de 5 % par an entre 2002 et 2009 à cause notamment des perturbations des rapaces. Sur la côte norvégienne, le Pygargue à queue blanche aurait entraîné le déclin du nombre de couples de Mouettes tridactyles entre les années 1980 et 2005. Dans les îles Lofoten (Norvège), ils seraient en partie responsables de la diminution du nombre de couples de Fous de Bassan (Morus bassanus).
Mais ces baisses ne seraient-ielles pas simplement le résultat d'un équilibre naturel retrouvé suite au retour des pygargues ? C'est sûrement le cas, mais le problème est que les populations d'oiseaux marins sont aujourd'hui largement fragilisées par les activités humaines comme les dérangements divers, la surpêche et la pollution.
Source(s)
■A découvrir, les très belles photos de Marcin Stefanczyk sur sa page Facebook : www.facebook.com/marcin.stefanczyk.9
■Hippfner J. M., Blight L.K. Lowe R.W., Wilhem S.I., Robertson G.J., Barret R.T., Anker-Nilssen T. et Good T.P. (2012). Unintended consequences: how the recovery of sea eagle Haliaeetus spp. populations in the northern hemisphere is affecting seabirds. Marine Ornithology 40: 39–52. http://marineornithology.org/PDF/40_1/40_1_39-52.pdf
Source : http://www.ornithomedia.com/breves/consequences-inattendues-retour-pygargues-dans-hemisphere-nord-00408.html