De ornithomedia.comDepuis le début du mois d'octobre et au cours du mois de novembre 2012, des Mésanges charbonnières poussant certains cris de contact inhabituels sont observées en Europe. Mésange charbonnière (Parus major).
Photographie : François Lelièvre / Sa galerie sur Flickr Au sein d'une même espèce d'oiseau, les appels et les chants peuvent varier selon les zones géographiques, notamment quand son aire de répartition est vaste : c'est le cas de la Mésange charbonnière (Parus major), présente depuis l'ouest de l'Europe jusqu'au Japon et à l'Asie du Sud-est. Une étude publiée en 1979 dans le Journal of Animal Ecology avait par exemple montré que les chants des mésanges des forêts denses de Pologne ou de Grande-Bretagne avaient une fréquence inférieure et étaient composés de moins de notes que ceux des individus des boisements clairs d'Espagne ou de Grèce.
Depuis le début du mois d'octobre et au cours du mois de novembre2012, des oiseaux poussant des cris de contact inhabituels (des "wiu wiu wiu" ou des "wieh wieh wieh") sont observés en Europe centrale et occidentale, y compris en France...
La Mésange charbonnière (Parus major)La Mésange charbonnière est un oiseau bien connu des jardins et des bois en Europe occidentale. C'est la plus grande de "nos" mésanges (longueur de 13,5 à 15 cm), et elle est aisément reconnaissable à son dessous jaune, à sa "cravate" noire, à sa tête noir-bleu brillant, à ses joues blanches et à son dos vert mousse.
Les sexes sont semblables, mais le jaune du mâle est généralement plus vif que celui de la femelle, et sa cravate est plus large.
Son répertoire vocal est très riche. Les cris de contact sont variés : "ti tui", "si yutti yutti", "pinc-pinc", "chè-chè-chè-chè", etc. Des imitations d'autres espèces sont parfois incorporées.
Plusieurs enregistrements sont disponibles sur le web, par exemple sur le site Xeno-canto :
■www.xeno-canto.org/download.php?XC=28214
■www.xeno-canto.org/download.php?XC=31634
■www.xeno-canto.org/download.php?XC=32100
■www.xeno-canto.org/download.php?XC=44960
Le chant (écoutez un enregistrement) est un "ti-ta ti-ta ti-ta" ou un "ti-ti-ta ti-ta ti-ti-ta" un peu mécanique.
La Mésange charbonnière a une aire de répartition très vaste : elle est présente de l'Europe et de l'Afrique du Nord au Japon et à l'Asie du Sud-est. Suite au phénomène de la spéciation géographique, qui conduit à terme à l'apparition de nouvelles espèces quand les individus se trouvent séparés par une barrière biogéographique (mer, désert, montagne, glaciers …), des variations de taille, de plumage et/ou de chants/cris sont apparues entre les différentes populations.
Quatre grands groupes de sous-espèces ou "allo-espèces" (Parus major major, P. m. minor, P. m. cinereus et P. m. bokharensis) ont été définis, chacun étant lui-même divisé en sous-espèces. (par exemple, au sein du groupe Parus major major, plusieurs sous-espèces ont été reconnues, comme P. m. aphrodite dans le sud de la Grèce, en Crète, à Chypre et aux Baléares, et P. m. excelsus au Maghreb).
Des chants et des cris variablesRépartition des quatre groupes de sous-espèces de la Mésange charbonnière (Parus major) : (A) Parus m. major, (B) P. m. bokharensis, (C) P. m. minor et (D) P. m. cinereus.
Carte : Ornithomedia.com d'après Les Oiseaux d'Europe de C. Perri Chez la Mésange charbonnière, les sons émis changent suivant les zones géographiques.
Les chants des mâles des groupes P. m. major et P. m. minor diffèrent nettement, au niveau de leur fréquence et de leur composition. Toutefois, dans les zones de contact, le répertoire des hybrides et des mâles du groupe major est mixte. Les différences de répertoire servent à maintenir une"barrière reproductive" entre les oiseaux des deux groupes, en particulier dans les zones de "cohabitation".
Dans une étude publiée en 1979 dans le Journal of Animal Ecology, des biologistes ont enregistré les chants territoriaux d'individus dans dix sites, cinq dans des forêts denses de feuillus ou de conifères, et cinq autres dans des boisements clairs, des parcs et des lisières. Ils ont constaté que les chants des oiseaux forestiers du Royaume-Uni, de Pologne, de Suède, de Norvège et du Maroc avaient une fréquence maximum plus basse, une gamme de fréquences plus étroite et étaient composés de moins de notes que ceux des individus des habitats plus ouverts du Royaume-Uni, d'Iran, de Grèce, d'Espagne et du Maroc.
Ils ont découvert qu'il existait des différences sonores selon l'habitat fréquenté : les oiseaux vivant dans les forêts denses ont en effet besoin que leurs chants se diffusent à travers une végétation plus épaisse et sur des distances plus grandes. Une autre étude avait par ailleurs permis de constater que la couleur des jeunes et des adultes de plusieurs Mésanges charbonnières étudiées dans la région de Trondheim en Norvège variait selon l'habitat, les jeunes élevés dans les forêts de feuillus étant plus jaunes dessous que ceux nés dans des bois de conifères.
Les facteurs expliquant ces variations peuvent aussi être liés à la compétition interspécifique : chez la Mésange bleue (Cyanistes caeruleus), une espèce proche, la proportion de trilles dans les chants des mâles augmente quand la compétition avec la Mésange charbonnière est plus forte, ceci a priori afin de mieux se distinguer de cette "rivale".
Des oiseaux poussant des "wiu wiu wiu"Mésange charbonnière (Parus major) poussant des "wiu wiu wiu", île d'Heligoland (Allemagne), en octobre 2012 : son apparence ne diffère a priori pas de celui de "nos" Mésanges charbonnières.
Photographie : Ralph Martin / AvesRares Depuis le mois d'octobre et au cours du mois de novembre 2012, des Mésanges charbonnières poussant des cris de contact particuliers, très différents des sons habituels des oiseaux européens, ont été observées dans plusieurs pays d'Europe, depuis les pays baltes et la Scandinavie jusqu'à l'Allemagne et à la France.
Ces cris ont été décrits différemment selon les sources : "wiu wiu wiu", "wieh wieh wieh", "tsuii zieh" ou "tswii wid", évoquant pour certains des cris de pouillots (genre Phylloscopus) ou rappelant ceux de la Mésange noire (Parus ater). Ces cris sont parfois composés de notes isolées, mais ils sont le plus souvent dissyllabiques ou trisyllabiques, et sont généralement inclus dans des séries d'autres appels.
La fréquence de ces cris est comprise entre 3,5 kHz et 5,5 kHz, descendant généralement sur la fin aux alentours des 2,5 kHz. Il existe des variations, mais généralement la fréquence du premier élément est supérieure de 100 à 200 Hz à celle du second. Parfois, la fréquence du premier et du dernier élément de ce cri est identique. Des sonogrammes (= images d'un signal dans une représentation fréquence-intensité en fonction du temps) de ces cris sont disponibles dans l'article "Freaky Great Tits" de Ralph Martin.
Matthias Feuersenger et Ralph Martin ont pu faire des enregistrements sur l'île d'Heligoland (Allemagne) en octobre 2012 :
■http://www.club300.de/sounds/kohlmeise_90326.mp3
■http://www.club300.de/sounds/kohlmeise_90487.mp3
■http://www.club300.de/sounds/kohlmeise_83554.mp3
Le plumage de ces oiseaux ne semble pas différentiable sur le terrain (en tout cas clairement) de celui des individus nichant en Europe de l'Ouest, ce qui laisse supposer qu'ils appartiennent au même groupe (major) et qu'ils ne proviennent pas d'Extrême-Orient (les oiseaux du groupe minor ont en effet un dessous gris et non pas jaune).
Des oiseaux en Allemagne, en France, en Suisse, en Belgique, ...Différences de plumage entre la Mésange charbonnière (Parus major major) que l'on trouve en Europe, et la Mésange charbonnière du Japon (P. m. minor) présente dans l'archipel nippon mais aussi dans l'Extrême-Orient russe, en Corée et en Chine de l'Est.
Schéma : Ornithomedia.com Des oiseaux en Allemagne, en France, en Suisse, en Belgique, ...Un nombre inhabituellement élevé de Mésanges charbonnières (et bleues, voir une vidéo), peut-être pressées par un manque de nourriture comme les Jaseurs boréaux (lire Comment expliquer les invasions de Jaseurs boréaux (et d'autres espèces nordiques) ?), ont été observées en octobre 2012 dans différents sites de suivi de la migration autour de la Baltique, par exemple à Flasterbö en Suède, depuis le Jurmo Bird Observatory (Finlande), sur l'île d'Heligoland ou aux pays baltes. Une grande proportion d'entre elles poussaient ces cris particuliers.
Elles se sont ensuite dispersées plus au sud, par exemple en Allemagne : le 4/11/2012, dans la région du lac de Constance (Allemagne), Ralph Martin et Matthias Feuersenger ont estimé que de 60 à 80 % des 450 Mésanges charbonnières contactées émettaient des "wiu wiu wiu", tandis que ce pourcentage dépassait semble-t-il les 70 % dans le secteur de Munich ! Ces oiseaux "mystérieux" seraient en fait présents dans toute l'Allemagne depuis le mois d'octobre.
Des oiseaux ont aussi été vus aux Pays-Bas, en Belgique, en Suisse, mais également en France (par exemple dans les départements du Jura, du Rhône, de l'Essonne, du Val d'Oise, de l'Oise, de l'Isère, de la Drôme, de la Loire, du Bas-Rhin, du Nord ...) (sources : liste Coches-fr et Philippe Vanardois).
Quelle est leur origine ?Ces cris pourraient-ils être émis par des oiseaux européens, mais ils n'auraient jamais été remarqués jusqu'à présent ? Cela semble peu probable. Ou bien s'agit-il d'oiseaux provenant de régions orientales éloignées arrivant en nombre inhabituellement élevé en Europe au cours de cet automne 2012 ?
L'origine de ces oiseaux n'a pas été définie jusqu'à présent : une partie d'entre eux est sûrement arrivée en Europe centrale en passant par le sud de la Scandinavie et les pays baltes, et ils proviennent probablement de régions plus orientales, peut-être de l'est de la Russie, voire de Sibérie occidentale. Sur le site web Xeno-canto, les cris d'un individu enregistré à Cheboksary en Russie (à environ à 600 km à l'est de Moscou) ressemblent un peu à celui des mésanges mystérieuses, mais leur fréquence est trop élevée (comprise entre 3,5 et 6,4 KHz). Toutefois il s'agirait là d'un indice intéressant.
Ces arrivées de Mésanges charbonnières "nordiques" de l'automne 2012 rappellent ainsi les invasions de Mésanges à longue queue nordiques (Aegithalos caudatus caudatus) 2010 (lire Les Mésanges à longue queue nordiques : attention aux pièges !) et celle des Bouvreuils pivoines "trompetteurs" (Pyrrhula pyrrhula pyrrhula) de 2003-2004 (lire L'invasion des bouvreuils trompettants ou "trompetteurs").
Auteur
Ornithomedia.com
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Ouvrage recommandé
Le guide Ornitho de Killian Mullarney
Sources
■Malcolm L. Hunter and John R. Krebs (1979). Geographical Variation in the Song of the Great Tit (Parus major) in Relation to Ecological Factors. Journal of Animal Ecology. Volume 48, numéro 3, pages 759-785. http://www.jstor.org/discover/10.2307/4194?uid=3738016&uid=2&uid=4&sid=21101394952141
■T. Slagsvold, J. T. Lifjeld (1985). Variation in plumage colour of the Great tit Parus major in relation to habitat, season and food. Journal of Zoology. Volume 206, numéro 3, pages 321–328, juillet. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1469-7998.1985.tb05661.x/abstract
■Claire Doutrelant, Marcel M. Lambrechts (2001). Macrogeographic Variation in Song – a Test of Competition and Habitat Effects in Blue Tits. Ethology. Volume 107, numéro 6, pages 533–544. http://onlinelibrary.wiley.com
■Ralph Martin (2012). Freaky Great Tits. Avesrares. Date : 14/11. http://avesrares.wordpress.com/2012/11/13/freaky-great-tits/
■Birding Frontiers (2012). Strange Great Tit calls – invasion from the east? Date : 14/11. http://birdingfrontiers.com/2012/11/14/strange-great-tit-calls-invasion-from-the-east/
■Roland Graf (2012). Nordischer Dialekt? Ungewöhnliche Rufe bei der Kohlmeise. Birdnet. http://www.birdnet-cms.de/cms/front_content.php?client=1&lang=1&idcat=46&idart=2131
■Martin Päckert et al (2005). The great tit (Parus major) – a misclassified ring species. Biological Journal of the Linnean Society. Volume 86, numéro 2, pages 153–174. http://onlinelibrary.wiley.com
Source : http://www.ornithomedia.com/pratique/identification/mesanges-charbonnieres-poussant-cris-inhabituels-00424.html