De ouest-france.frPassionné par le monde des oiseaux, le chorégraphe breton Luc Petton les fait évoluer sur scène, au terme de longues cohabitations avec ses danseuses. Après les cygnes, un spectacle passé par Nantes et présenté en juin à Quimper, il fera bientôt valser des grues de Mandchourie.Aurore Castan-Aïn, l'une des six danseuses du spectacle Swan, qui fait intervenir huit cygnes. Avec Olive, Coco, Mousse et leur congénères, une relation de confiance s'est peu à peu installée.
Photo : Laurent Philippe Swan est un ballet de cygnes. Six blancs, deux noirs. Les uns glissent sur un couloir d'eau en fond de scène, les autres font claquer leurs palmes sur le plateau.
Les volatiles se mêlent aux danseuses, les enlacent, picorent affectueusement dans le creux de leur cou. Ces dernières, sirènes sorties des ondes, paradent et simulent joutes de becs et froissements de plumages.
Leur troublante complicité surprend le public, prié de n'applaudir qu'une fois les oiseaux revenus en coulisses.
Le résultat d'un patient domptage ? Plutôt d'une longue imprégnation entre les cygnes et les danseuses. Un procédé que le chorégraphe Luc Petton a déjà expérimenté pour un précédent spectacle, La Confidence des oiseaux, où il mettait en scène pies, corneilles et étourneaux.
Sa passion des oiseaux remonte à l'enfance. Originaire de Brélès, dans le Finistère, Luc Petton se souvient de ses premières émotions de gamin, à la campagne. « Il n'y avait pas de théâtre, seulement le spectacle de la nature au printemps. Devenu danseur, j'ai voulu retrouver cette émotion-là sur une scène. Comme un précipité du monde. Car, sur une scène, tout peut arriver. »
Sa compagnie s'appelle Le Guetteur. Cet ornithologue amateur aime comparer le monde des humains à celui des animaux. Un monde cueilli au nid, épié, choyé dès l'éclosion des oeufs. En avril 2010, les six danseuses, futures mamans d'adoption, ont assisté à la naissance des cygneaux.
Avant l'écriture de Swan, créé début 2012 au Théâtre de Chaillot, il s'est écoulé plus d'une année d'allers et retours entre Paris et la ferme de la Limouzinière, près de Poitiers, où la compagnie de Luc Petton a installé les oiseaux. Les danseuses n'ont pas compté leurs heures de « swan-sitting ».
« On les a nourris, on a joué avec eux. On leur a fait écouter de la musique, des percussions. » La danseuse Aurore Castan-Aïn se souvient d'une sieste dans un champ, sous l'aile de l'un de ses « enfants ».
Avec Olive, Coco, Mousse et leur congénères, une relation de confiance s'est peu à peu installée. Enfin parés de leur plumage immaculé d'adulte, les cygnes ont fait quelques mois plus tard leurs premiers pas sur le plateau aménagé dans la grange de la Limouzinière.
Une troublante complicité
« Le cygne est pesant et gracieux, doux et sensuel. C'est un animal paradoxal. C'est le blanc et le noir, Eros et Tanatos. » La tentation était forte pour Luc Petton de se confronter à cet oiseau emblématique de notre patrimoine culturel, cité par Platon et Socrate, peint par le Titien, et célébré en musique par Tchaikovsky dans son célèbre Lac des cygnes. Le cygne est aussi une forte tête.
« Le choisir n'était pas la facilité. Il n'est pas réputé pour son bon caractère, observe François Coquet, l'un des quatre oiseleurs qui se relaient dans la ferme. On est arrivé à ce résultat en poussant à l'extrême l'observation de leur comportement. Au fil des mois, danseuses et cygnes ont mis en place un code pour se comprendre. La relation qu'ils ont nouée avec les hommes est inédite : ils nous connaissent aussi bien qu'on les connaît. »
En tournée, la logistique est lourde. À Nantes il y a quelques jours, les oiseaux, qui se déplacent avec enclos et piscine, occupaient la loge la plus spacieuse du théâtre Le Grand T. Ils ont englouti, facile, dix-huit cageots de salades par jour. Loin des pâturages, il faut continuer à les hydrater. Les peser chaque matin, « comme des sportifs de haut niveau ».
Mais l'oiseau star n'offre pas que des moments de grâce aux danseuses. « Sur la scène, on danse les pieds dans la merde. On est imprégné de leur forte odeur, ça fait partie de nos sensations », admet Aurore Castan-Aïn.
Les prises de bec sont rares. Pour autant, la tension est extrême. « Cette expérience m'aura appris à être toujours disponible, à avoir des yeux partout. »
Luc Petton n'en a pas fini avec les oiseaux. Son prochain plan de vol le mènera en Corée du Sud. Il a l'intention d'y clore, dans deux ans, sa trilogie de spectacles à plumes avec des grues de Mandchourie. « Un oiseau de 2,60 m d'envergure, qui a un joli cri et s'exprime en dansant. La grue est un animal sacré en Extrême-Orient, symbole d'immortalité. »
L'éclosion des œufs de ses futures interprètes est imminente. Le spectacle sera créé en 2015, au terme de ce même long processus d'imprégnation. « Je suis content d'avoir réussi ce geste poétique de réunir oiseaux et humains. L'oiseau est un médiateur pour le public. Il lui permet de venir voir de la danse contemporaine de manière plus... indolore. »
Mercredi 12 juin, théâtre de Cornouaille à Quimper. Disponible en DVD, le documentaire Danse avec les cygnes a été réalisé par Anne Buxerolle.
Isabelle LABARRE.
Source : http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Ses-danseuses-parlent-la-langue-des-cygnes_3639-2196646_actu.Htm