De nordinfo.com
La tourte voyageuse était probablement l’oiseau le plus abondant en Amérique du Nord.
Tourte voyageuse (illustration).
On raconte que des nuées de tourtes obscurcissaient le ciel en plein jour. Diverses estimations mentionnent que la population variait entre trois et cinq milliards d’individus.
Cette espèce d’oiseau a disparu du paysage de la terre, le dernier spécimen s’éteignant en 1914 dans un zoo de Cincinnati.
Quelque 43 ans plus tôt, on rapporte pourtant une nuée d’environ 136 millions de tourtes voyageuses dans le ciel du Wisconsin. Ce rassemblement prodigieux survenu en 1871 formait un gigantesque «L» d’environ 200 km de longueur sur 10 km de largeur.
Mentionnée dans les récits de Jacques Cartier, la tourte voyageuse appartenait à la famille des columbidés qui regroupe notamment le pigeon domestique et la tourterelle triste.
Espèce migratrice, elle vivait principalement dans les forêts de hêtres du Québec de mai à novembre, pour ensuite se réfugier aux États-Unis. Elle était cependant peu commune au Québec par rapport aux effectifs gigantesques se retrouvant dans les États de l’est et du centre des États-Unis.
Oiseau à la chair très prisée, la tourte a fait l’objet d’une intense chasse commerciale. C’est la principale cause de son déclin et de sa disparition.
La chasse a débuté dès le début des colonies anglaises et françaises. Cette chasse est devenue une véritable industrie lors du développement du chemin de fer. Oiseau peu farouche, la tourte était prise au moyen d’un simple coup de filet. Un chasseur d’expérience pouvait capturer plus de 2 500 tourtes par jour.
De plus, on organisait des compétitions de chasse au fusil un peu partout en Amérique du Nord. L’un de ces tournois offrait une récompense au premier chasseur qui abattait plus de 30 000 oiseaux! Il faut dire qu’il suffisait de tirer dans le tas pour que les oiseaux tombent littéralement du ciel.
Les étals de marchés publics étaient remplis. Au Québec, la tourte se retrouvait dans les fricassées et les pâtés à la viande. On la mangeait également rôtie comme une caille à la broche.
Origine du mot tourtière
Soulignons que le mot tourtière ne fait pas référence à la tourte voyageuse, comme on pourrait le penser. Selon Pierre Gingras, journaliste à La Presse et auteur du livre Secrets d’oiseaux (Éd. Le Jour, 1995), la tourtière vient plutôt du mot tourte, un terme employé en France pour désigner une pâtisserie à la viande, au poisson ou aux légumes. Le récipient pour préparer ce mets s’appelait une tourtière.
Outre la chasse, un taux de natalité très faible explique le déclin de la tourte, un paradoxe quand on pense à l’abondance de l’espèce. En général, elle pondait un seul œuf par an. Par comparaison, notre tourterelle triste niche trois fois par an dans le sud du Québec, à raison de deux œufs en moyenne par couvée, ce qui donne six nouvelles tourterelles chaque année.
Le nombre de tourtes voyageuses était si incroyable qu'il paraissait impensable que l'espèce s'éteigne un jour. On dit que le ridicule ne tue pas. Mais dans le cas de la tourte voyageuse, la bêtise humaine a anéanti une espèce entière, la soustrayant à l’histoire de la biodiversité.
Son destin tragique, en 1914, a tout de même permis d’éveiller une partie du public à la sauvegarde de la nature. Deux ans plus tard, les États-Unis et le Canada adoptaient la Convention concernant la protection des oiseaux migrateurs. Cet accord avait pour but de «sauver du massacre général les oiseaux migrateurs qui sont utiles à l’homme ou inoffensifs, et d’assurer la conservation de ces oiseaux».
Journaliste indépendant pour divers magazines et autodidacte dans l’apprentissage de l’ornithologie, Bernard Cloutier est membre de la Société ornithologique de Lanaudière. Il est aussi animateur, guide et conférencier. Pour lui écrire: b.clou@hotmail.com.