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Au printemps, il est possible d'observer des Fauvettes à tête noire avec de fines particules jaunes sur le front et sur le pourtour du bec : il s'agit de pollen, ces oiseaux ayant consommé le nectar de certaines fleurs au cours de leur migration de printemps.
Si en Europe et en Afrique du Nord les oiseaux jouent un rôle très faible dans la pollinisation par rapport à ce que l'on constate dans d'autres parties du monde (par exemple dans les Amériques avec les colibris), quelques passereaux considèrent le nectar comme une source d'énergie efficace et facile à digérer.
La pollinisation des fleurs par les oiseauxColibri à ventre châtain (Lampornis castaneoventris) se nourrissant de nectar, Costa Rica.
Photographie : Marc Fasol
La pollinisation des fleurs par les oiseaux est un phénomène courant dans plusieurs parties du monde : les colibris (famille des Trochilidés) (lire Les colibris, des oiseaux étonnants) et les percefleurs (genre Diglossa, famille des Thraupidés) dans les Amériques, les souïmangas en Afrique tropicale, au Moyen-Orient et en Asie orientale (famille des Nectariniidés) et les méliphages (famille des Méliphagidés) de l'Indonésie à l'Océanie se nourrissent essentiellement de nectar, même s'ils peuvent aussi manger des insectes. D'autres familles d'oiseaux, comme les parulines (Parulidés) américaines, sont aussi nectarivores à l'occasion, notamment lors de leur migration.
Plusieurs plantes à fleurs dans ces régions du monde ont évolué pour attirer ces agents pollinisateurs particuliers. Ces fleurs possèdent un nectar copieux et fluide (le nectar dégouline de certaines d'entre elles à la maturité du pollen) mais elles ont généralement peu de parfum parce que le sens de l'odorat des oiseaux est peu développé. Les oiseaux ont cependant un sens aigu de la couleur, plus développé que le nôtre (lire Les particularités de la vision des oiseaux) : il n'est donc pas étonnant que la plupart des fleurs pollinisées par ces derniers soient brillamment colorées, principalement de rouge et de jaune.
Ces fleurs sont aussi normalement de grande taille ou font partie de grandes inflorescences : ces caractères contribuent à la stimulation visuelle des oiseaux et indiquent la présence de grandes quantités de nectar.
Lorsque les fleurs sont régulièrement visitées par des animaux qui dépensent beaucoup d'énergie comme les colibris, elles doivent produire beaucoup de nectar pour satisfaire à leurs besoins énergétiques et les inciter à revenir.
Le nectar des fleurs régulièrement pollinisées par les oiseaux a aussi tendance à se situer dans des tubes profonds ou à dans d'autres endroits inaccessibles à des animaux plus petits et à plus faible consommation énergétique comme les insectes, l'objectif étant ainsi clairement de favoriser les oiseaux.
Percefleur ardoisé (Diglossa plumbea) mâle pinçant une corolle de Fuschsia afin d'y introduire sa langue, Costa Rica.
Photographie : Marc Fasol
Parmi les fleurs pollinisées par ces derniers, on peut citer par exemple l'Ancolie rouge (Aquilegia vulgaris), le fuschsia (Fuchsia sp.), la Passiflore écarlate (Passiflora coccinea) ou le Poinsettia (Euphorbia pulcherrima), mais aussi celles de l'eucalyptus, de l'hibiscus, de nombreuses cactées, musacées et orchidées.
Il s'agit d'espèces exotiques, mais il existe au moins une fleur européenne dont les principaux pollinisateurs sont des oiseaux, l'Anagyre fétide (Anagyris foetida). Cela pourrait s'expliquer par le fait que le début de la floraison de cette espèce a lieu en automne-hiver, qui coïncide avec les mois plus frais et les plus humides de l'année (froid, vents violents, brouillards presque quotidiens qui persistent jusqu'à la nuit, et surtout, pluies abondantes), à une période où les insectes pollinisateurs sont rares. Cette plante possède d'ailleurs les caractéristiques des espèces pollinisées par les oiseaux : des fleurs inodores, à tube, pendantes et sans "plate-forme d'atterrissage" pour les insectes.
Des plumes soupoudrées de pollen ou des "cornes de pollen"Fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla) mâle avec du pollen autour du bec, Beaune, Côte-d'Or, avril 2012.
Photographie : André Marceaux
En Europe également, lors de la migration de printemps, il est possible de voir des passereaux, essentiellement des fauvettes (famille des Sylvidés) avec de fines particules jaunes sur le front et sur le pourtour du bec, voire ailleurs sur leur plumage, résultat de la visite de certaines fleurs pour se nourrir de leur nectar (parfois aussi de pollen et d'insectes). Quelques oiseaux présentent même des croûtes dures sur le front appelées "pollen horn" : il s'agit de granules de pollen de fleurs d'orangers, de citronniers, d'eucalyptus ou d'amandiers. Du pollen agglutiné originaire du pourtour méditerranéen a été trouvé sur des oiseaux capturés au Danemark.
Les oiseaux "européens" nectarivoresEn Europe, ce sont principalement les fauvettes (famille des Sylvidés) qui visitent à l'occasion les fleurs indigènes, en particulier la Fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla).
Sur l'île de Ventotene (Italie), en Méditerranée centrale, qui constitue une halte printanière pour les migrateurs de retour d'Afrique, des chercheurs ont constaté que quatre fauvettes migratrices, la Fauvette des jardins (Sylvia borin), la Fauvette passerinette (Sylvia cantillans), la Fauvette grisette (Sylvia communis) et bien sûr la Fauvette à tête noire, se nourrissaient régulièrement sur les deux fleurs les plus courantes à cette époque de année, le Chou ligneux (Brassica fruticulosa) (Crucifères) et la Férule commune (Ferula communis) (Ombellifères). Au total, ils ont identifié 38 espèces végétale en analysant les échantillons de pollen trouvés sur 147 fauvettes.
L'Anagyre fétide (Anagyris feotida) est l'une des rares espèces "européennes" principalement pollinisées par des oiseaux.
Photographie : Gideon Pisanty / Wikipédia
En Espagne, les principaux pollinisateurs de l'Anagyre fétide (Anagyris foetida) sont le Pouillot véloce (Phylloscopus collybita), la Fauvette à tête noire et la Fauvette mélanocéphale (Sylvia melanocephala).
Des Mésanges bleues (Cyanistes caeruleus) se nourrissent parfois de chatons de saules durant la période de nidification.
Mais ce sont souvent des plantes exotiques, plus attractives pour les oiseaux, qui sont visitées : à Madrid, des fauvettes et des Mésanges bleues ont ainsi été vues se nourrissant du nectar d'une plante introduite, le Néflier du Japon (Eriobotrya japonica). Des fauvettes et des pouillots peuvent inspecter les inflorescences d'Aloès. Des Mésanges charbonnières (Parus major) ont été observées en 1990 et en 1996 visitant des fleurs de Fritillaires impériales (Fritillaria imperialis), appelées aussi Couronnes impériales, dans deux endroits de la Hesse (Allemagne).
Curieusement, certaines espèces proches des fauvettes, comme les hypolaïs, ne semblent pas attirées par le nectar. D'autres passereaux faisant pourtant des haltes dans les mêmes milieux que les fauvettes, comme les gobemouches ou les traquets, n'ont également apparemment pas de tendance nectarivore : ces espèces sont ainsi moins généralistes dans le choix de leur nourriture lors de leur migration, et leur stratégie pour surmonter les défis physiologiques de la migration (notamment en terme de mobilisation des réserves lipidiques) est quelque peu différente .
L'intérêt du nectar lors de la migrationFauvette à tête noire (Sylvia atricapilla) mâle avec du pollen autour du bec, Beaune, Côte-d'Or, avril 2012.
Photographie : André Marceaux
Sur l'île de Ventotene, l'étude du comportement alimentaire, des traces de pollen sur la tête et l'examen des restes de pollen et de sucre dans les fientes de quatre espèces migratrices de fauvettes ont montré que le nectar était l'objectif principal de ces oiseaux plutôt que le pollen ou les insectes présents sur les fleurs. Cela a par ailleurs été confirmé par des expériences qui ont montré une nette préférence des Fauvettes des jardins et grisettes pour le nectar que pour les vers de farine. Il est possible que le nectar soit un aliment facile à obtenir et à absorber par les oiseaux après un long vol migratoire au cours duquel ils ont subi une forte diminution de leurs réserves énergétiques. L'absorption de nectar entraîne en effet une augmentation des concentrations plasmatiques de glucose. La digestion des protéines issues des insectes est relativement longue, tandis que les monosaccharides du nectar sont directement absorbés.
Cet aliment répond donc au besoin des migrateurs de minimiser la durée totale de leur trajet en limitant au maximum les arrêts. Les oiseaux essaient de se procurer le plus vite possible (notamment pour limiter les risques de prédation) l'eau et l'énergie lors des étapes, et le nectar est facile à trouver et rapide à digérer.
D'autre part, le nectar constitue un élément de substitution intéressant quand les insectes sont encore rares en mars-avril.
Des facteurs jouant sur la consommation de nectarL'ingestion de nectar durant la migration dépend du type de végétation disponible et de la période de floraison. Les habitats ouverts (cultures, prairies) ou dégradés par des coupes ou des incendies sont plus propices à la présence de plantes à fleurs riches en nectar que les bois ou les maquis denses. On a ainsi constaté que les Fauvettes des jardins et grisette en halte sur l'île italienne de Ventotene, à la végétation fortement dégradée, passaient près de 80% de leurs temps au sol à consommer du nectar, tandis que sur les îles de Ponza et de Zannone, plus boisées, elles chassaient surtout les insectes.
Pourquoi il y a-t-il moins d'oiseaux pollinisateurs en Europe qu'ailleurs dans le monde ? Comme nous l'avons, en Europe et en Afrique du Nord, seules quelques espèces, principalement des fauvettes, visitent des fleurs et contribuent ainsi à leur pollinisation, alors que dans les régions tropicales et subtropicales, les oiseaux sont des acteurs majeurs de la dissémination du pollen. Cette différence ne semble pas être due au climat, à la latitude ou à l'insuffisance d'oiseaux ou de plantes : il semblerait plutôt que les abeilles, sociables et organisées, aient supplanté les oiseaux dans cette partie du monde.
A lire également
Provost S., Fournier J. et Bégeot C. (2012). Pollen transporté par les Pouillots véloces Phylloscopus collybita pendant leur halte migratoire pré-nuptiale. Alauda. Volume 1..
Sources
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Sources : http://www.ornithomedia.com/pratique/debuter/debut_art106_1.htm