De ornithomédia.comLe mélanisme se traduit chez les oiseaux par un plumage anormalement sombre. Il est causé par une surproduction de pigments de mélanine qui envahissent les cellules. Cette anomalie peut-être génétique ou passagère (elle disparaîtra alors lors de la mue).
Le mélanisme a été observé chez un grand nombre d'espèces, mais il est est spécialement répandu chez les rapaces. Chez les busards, les cas de mélanisme sont rares. Nicole Bouglouan, créatrice du site web Oiseaux-birds.com, a observé et photographié le 15 avril 2012 dans les steppes de Belén (Trujillo) en Estrémadure (Espagne) un couple de Busards cendrés dont la femelle était très sombre : elle nous a transmis ses photos.
Situation de Belén (Trujillo), en Espagne.
Une femelle mélanique de Busard cendré en Estrémadure
Mélanisme et forme sombreBusard cendré (Circus pygargus) femelle mélanique, Belén (Trujillo), Espagne, le 16/04/2012.
Photographie : Nicole Bouglouan
Le mélanisme chez les oiseaux est une aberration de leur plumage, comme le leucisme (lire Albinisme et leucisme).
C'est une condition causée par une mutation génétique qui entraîne une production excessive de mélanine dans les plumes, les rendant plus sombres qu'à la normale. Les deux sexes sont concernés. Il existe des variations individuelles.
On relève deux types de phénotypes parmi les oiseaux touchés par cette aberration :
- chez certains, seules les marques sombres du plumage sont "exagérées" et élargies;
- chez d'autres, le plumage est globalement assombri et apparaît entièrement brun ou noir.
Les oiseaux totalement mélaniques sont très rares.
Il ne faut pas confondre les oiseaux mélaniques avec les formes sombres (lire La phase, un terme à bannir ?) de certaines espèces, comme la Buse rouilleuse (Buteo regalis), la Buse à queue rousse (Buteo jamaicensis), de la Buse pattue (Buteo lagopus), l'Aigle botté (Aquila pennata) ou le Faucon d'Éléonore (Falco elonorae); les formes sombres sont des plumages réguliers, persistants et transmissibles qui résultent également d'une concentration plus forte de mélanine mais qui ne constituent pas de simples aberrations.
L'observation espagnoleLa femelle mélanique chassait avec un mâle de Busard cendré (Circus pygargus) typique, Belén (Trujillo), Espagne, le 16/04/2012.
Photographie : Nicole Bouglouan
Le 15 avril 2012, Nicole Bouglouan a observé dans les steppes de Belén (près de Trujillo) en Estrémadure (Espagne) un couple de Busards cendrés (Circus pygargus) composé d'un mâle typique et d'une femelle mélanique chassant ensemble.
Le sexe de cet oiseau aberrant a été déterminé grâce à plusieurs indices:
- il chassait avec un mâle en période nuptiale;
- sous l'aile, les rémiges primaires étaient claires;
- sur la queue, on devinait des bandes sombres.
A noter que l'oeil et l'iris jaunes indiquent que c'est un adulte.
Le mélanisme chez les busardsBusard cendré (Circus pygargus) femelle mélanique, Belén (Trujillo), Espagne, le 16/04/2012 : notez les primaires pâles (1). L'iris est jaune (oiseau adulte).
Photographie : Nicole Bouglouan
Le mélanisme existe chez plusieurs espèces de busards, comme chez les Busards cendré, Saint-Martin (Circus cyaneus), de Hudson (Circus hudsonius), des roseaux (Circus aeruginosus) ou de Buffon (Circus buffoni). Deux espèces sont entièrement monomorphes (il n'existe pas de forme claire) : le Busard maure (Circus maurus) en Afrique australe, et le Busard tacheté (Circus assimilis) en Australie.
Les busards mélaniques sont souvent des oiseaux frappants, aux yeux jaunes bien visibles mis en valeur par le bec sombre.
Busard cendré (Circus pygargus) femelle mélanique, Belén (Trujillo), Espagne, le 16/04/2012.
Photographie : Nicole Bouglouan
Si le mélanisme est globalement très rare chez les busards (1 % de la population de Busards cendrés), il est exceptionnel chez certaines espèces comme chez le Busard de Hudson (qui ressemble étroitement au Busard Saint-Martin); seuls deux cas ont ainsi été documentés : un mâle en Californie (Howell et al., 1992) et une femelle en 1998 près du Charlo Lake au Montana (Chad V. Olson et al, 1998). Cette dernière n'avait pas de croupion blanc, et sa tête, son dos, le dessus de la queue, la poitrine et le ventre étaient noirs. Le dessous de ses ailes était uniformément brun-noir, avec les rémiges secondaires et primaires gris clair barrées de sombre. Sa queue, plus sombre que normalement, présentait tout de même le dessin typique de l'espèce, avec des bandes sombres visibles. Les iris et la cire étaient jaunes. Elle volait avec un juvénile plus petit, a priori un mâle.
Le mélanisme constitue-t-il un avantage ?
Chez les espèces polychromatiques, les formes sombres ne semblent pas défavorisées par rapport à leurs congénères typiques. En outre, elles peuvent se reproduire avec des oiseaux "normaux".
Bill Clarck (1987) avait par ailleurs constaté la faible incidence du mélanisme sur l'état général des busards capturés en Israël, lors de leur migration.
Alors que le leucisme constitue un net désavantage évolutif car il rend les oiseaux plus visibles, le mélanisme pourrait avoir des avantages : il peut aider les oiseaux à se camoufler (surtout quand ils sont posés), et sous les climats froids, il peut favoriser les oiseaux concernés en permettant une meilleure absorption de la chaleur du soleil.
Des études menées chez des félins mélaniques ont permis de détecter un lien entre le mélanisme et un système immunitaire plus fort. Cette relation serait d'ailleurs à l'origine de l'apparition des formes sombres régulières, comme celles du Faucon d'Eléonore ou de l'Aigle botté.
... ou un inconvénient ?Aigle botté (Aquilla pennata) forme sombre, Estrémadure (Espagne), mai 2008.
Photographie : Nicole Bouglouan
Des chercheurs du Consejo Superior de Investigaciones Científicas (CSIC) ont constaté que les formes sombres de l'Aigle botté et du Faucon d'Éléonore étaient désavantagées par rapport aux oiseaux clairs car la concentration élevée de mélanine dans leur plumage s'accompagne par une diminution du taux de glutathion, un tripeptide remplissant une fonction d'antioxydant intracellulaire indispensable à la vie. Les chercheurs ont mesuré la concentration de cet antioxydant chez 65 poussins d'Aigles bottés dans le Parque Nacional de Doñana et chez 132 poussins de Faucons d"Éléonore sur une île de l'archipel des Canaries : le taux de glutathion était 5% plus élevé chez les aigles clairs et 10% chez les faucons clairs.
Le mélanisme est un caractère dominant hétérozygote (dû à deux allèles hérités des deux parents) qui pourrait diminuer la capacité des individus concernés à attirer un partenaire pour pouvoir se reproduire. Chez les espèces monochromatiques (= chez lesquelles il n'existe qu'une forme de plumage), la progression du nombre d'oiseaux touchés pourrait ainsi être bloquée par l'incapacité de ceux-ci à s'appareiller et à produire des jeunes. Dans le nord-ouest de la péninsule ibérique, on a aussi constaté que la durée de recherche du partenaire durait plus longtemps chez les Busards cendrés mélaniques, et qu'ils nichaient plus tard.
On ne sait pas si ce sont les mâles ou les femelles mélaniques qui ont le plus de mal à trouver un partenaire.
Un excès de mélanine pourrait enfin diminuer la flexibilité des plumes et les fragiliser.
Pourquoi le mélanisme est-il plus ou moins répandu ?
Chez certaines populations de rapaces, souvent à la limite de leur aire de répartition le taux de mélanisme est beaucoup plus élevé qu'en moyenne.
Ainsi, alors que la proportion d'oiseaux mélaniques chez le Busard cendré est normalement de 1%, 20 à 30 % des couples dans le nord du Portugal et le nord-ouest de l'Espagne seraient touchés. Au sud des Monts Oural (Russie), au sud de la distribution de l'espèce, près de 20 % des oiseaux seraient mélaniques.
Les oiseaux concernés étant désavantagés par leur défaut de plumage dans les zones où la compétition sexuelle est forte, leur chance de se reproduire augmenterait dans les zones marginales et périphériques où la densité d'individus est plus faible.
Le mélanisme est aussi plus fréquent dans les îles, où les processus de sélection sont différents que sur le continent : on peut le constater par exemple chez plusieurs populations d'Effraies des clochers (Tyto alba) dans l'hémisphère nord (Madère, Canaries, ...).
A découvrir
- La page consacrée au Busard cendré sur le site Oiseaux-birds.com
- La galerie de photos de Nicole Bouglouan : http://www.pbase.com/nicolebouglouan/booted_eagle
Sources
- Robert E. Simmons (2000). Harriers of the World: Their Behaviour and Ecology. OUP Oxford.
- A. Roulin, N. Salamin (2010). Journal of Evolutionary Biology. Volume 23, numéro 5, pages 925–934. Insularity and the evolution of melanism, sexual dichromatism and body size in the worldwide-distributed barn owl. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1420-9101.2010.01961.x/full
- The Raptor Research Foundation (2000). Firts North American record of melanistic female Northern Harrier. J. Raptor Res. 34(1). Pages 58-59. http://elibrary.unm.edu/sora/jrr/v034n01/p00058-p00059.pdf
- Melissa Mayntz. Bird Melanism. About.com Guide. http://birding.about.com/od/identifyingbirds/a/melanism.htm
- William S. Clark, Michael A. Patten & John C. Wilson (2009). Dark Sharp- shinned Hawk Accipiter striatus from California is melanistic. BOC Bulletin numéro 129. Page 254. http://www.globalraptors.org/grin/researchers/uploads/155/clark+darkss-bboc.pdf
Sources : http://www.ornithomedia.com/pratique/debuter/debut_art107_1.htm