De notre-planete.infoDeux mergules face au soleil de minuit, Groenland Est
© David Grémillet La planète se réchauffe, particulièrement au niveau des pôles. Comment les organismes réagissent-ils face à cette hausse des températures ? Une équipe internationale[1] menée par un chercheur CNRS du Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive[2] vient de mettre en évidence que les mergules nains, les oiseaux marins les plus abondants de l'Arctique, adaptent leur comportement de pêche en fonction du réchauffement actuel des eaux de surface en mer du Groenland. Leurs taux de reproduction et de survie ne sont pour l'instant pas affectés. Un réchauffement plus important pourrait néanmoins menacer cette espèce. Ces travaux sont publiés le 21 mai 2012 dans la revue Marine Ecology Progress Series. Ils ont notamment bénéficié des soutiens de l'Institut polaire français (IPEV) et d'un programme américano-norvégien.
Les mergules nains figurent parmi les plus petits des oiseaux marins (150 g) et les plus abondants en Atlantique nord (40 à 80 millions). Ils peuplent les côtes rocheuses du Groenland et du Spitzberg. Pour se nourrir et alimenter leur poussin, ils se sont spécialisés dans la pêche aux copépodes[3] , des petites crevettes planctoniques, dont ils capturent jusqu'à 65 000 individus par jour. Ils recherchent les zones de courants froids et évitent les eaux plus tempérées. En effet, les eaux glaciales qui descendent de l'océan Arctique par le détroit de Fram, entre le Groenland et le Spitzberg, abritent un copépode arctique de grande taille, Calanus hyperboreus, très riche en graisse. Une autre espèce de copépode, C. finmarchicus, se développe dans les eaux plus tempérées, mais elle est plus petite et surtout moins énergétique. Les mergules, de par leur régime alimentaire spécialisé et leurs besoins alimentaires élevés, constituent un indicateur fiable pour tester l'impact des changements climatiques dans cette région.
Les chercheurs ont étudié, sur trois ans, pendant l'été, trois colonies de mergules nains situées de part et d'autre de la mer du Groenland : les températures des eaux de surface du site le plus chaud et du plus froid diffèrent de 5°C. Localisé au Spitzberg, le site actuellement le plus chaud reproduit en quelque sorte le réchauffement simulé pour la fin du 21e siècle dans la zone la plus froide (Groenland oriental). De tels écarts de température génèrent des modifications importantes de l'abondance et de la taille moyenne du zooplancton, diminuant la qualité de la ressource alimentaire des mergules (copépodes).
De manière surprenante, les oiseaux parviennent à compenser le réchauffement actuel des eaux de surface en mer du Groenland en modifiant leur régime alimentaire et en allongeant la durée de leurs voyages alimentaires en mer. Ils partent plus loin et plus longtemps pour s'alimenter dans des zones où la pêche sera plus fructueuse.
Les mergules nains parviennent donc pour l'instant à s'adapter aux conséquences du réchauffement des eaux de surface en mer du Groenland. Un réchauffement de 5°C reste cependant inférieur au réchauffement maximum de 7°C annoncé en Arctique, à l'horizon 2100, par les modèles climatiques. Or il semble que les mergules sont aujourd'hui à l'extrême limite de leurs capacités physiologiques et comportementales. Un réchauffement plus marqué risquerait donc d'entrainer leur déclin ainsi qu'un bouleversement majeur des écosystèmes marins de l'Arctique. Les scientifiques s'intéressent désormais à l'incidence des changements globaux sur la survie hivernale de ces oiseaux marins.
Notes
1.Elle réunit des chercheurs américains (Pomona College et Alaska Science Center), français (CNRS), norvégiens (Norwegian Polar Institute), polonais (Polish Academy of Sciences) et britanniques (University of Aberdeen).
2.CNRS/Universités de Montpellier 1, 2 et 3/SupAgro/Cirad/EPHE/IRD/INRA
3.Les copépodes représentent la principale composante du zooplancton (nourriture exclusive des mergules nains).
Référence
Little auks buffer the impact of current Arctic climate change, D. Grémillet, J. Welcker, N.J. Karnovsky, W. Walkusz, M.E. Hall, J. Fort, Z.W. Brown, J.R. Speakman & A.M.A. Harding. Marine Ecology Progress Series. 21 mai 2012.
Auteur
Centre National de la Recherche Scientifique
Sources : http://www.notre-planete.info/actualites/actu_3364_oiseaux_changement_climatique_arctique.php