De corsematin.comL’oiseau vit depuis quelques semaines dans la plaine de Campo dell’Oro où il a été repéré. À l’origine de sa halte, un état de fatigue l’ayant mis dans l’incapacité de poursuivre sa route. Panne moteurC'est vrai, ça plane pour elle, mais pas assez haut pour continuer sa route. Juste de quoi faire un passage rase-mottes au-dessus de l'échine du poney. Qui n'a jamais cherché l'oiseau rare ? Depuis quelques semaines, certains l'ont déniché entre Ajaccio et la rive sud du golfe. Car cela fait un moment qu'une cigogne a établi, malgré elle, ses quartiers d'été dans la plaine de Campo dell'Oro. Un volatile au bec orangé long et fin, monté sur des pattes qui ne le sont pas moins. Cette cigogne-là, victime de son immaturité, est en panne moteur. Impuissante à continuer sa route. Stoppée dans son élan. À bout de souffle. Elle voit ainsi son plan de vol initial contrarié et ses grandes vacances compromises.
Il fallait un œil d'aigle pour décrypter le Da Vinci code porté par le volatile gracile auquel, en guise de fil à la patte, on a passé une bague. L'œil d'aigle, c'est celui de Bernard Recorbet, chef de l'unité biodiversité terrestre à la Dreal, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement. Le code, c'est celui inscrit sur la bague. Qui a pu être déchiffré. Attestant que l'oiseau âgé de deux ans, a été capturé au nid en juin 2010, en Suisse.
Si la cigogne blanche est une espèce régulière, il est pourtant plutôt rare de pouvoir en observer en Corse qui ne fait généralement pas partie du plan de vol de l'oiseau. Le pourquoi du comment nous étant ici conté par Gilles Bonaccorsi, un ornithologue qui se définit comme amateur. Néanmoins très éclairant, ayant utilisé à toutes fins utiles une longue-vue grossie 60 fois…
Billet en classe éco
« La cigogne est un oiseau qui, lorsqu'il migre, s'économise. Il utilise ainsi les bulles d'air chaud qui sont créées dès lors où la terre est chauffée par le soleil et grâce auxquelles il peut monter jusqu'à un kilomètre de haut. Ensuite, il lui suffit de redescendre de manière oblique et de reprendre l'ascendance suivante. Contrairement à d'autres, la cigogne ne pratique pas le vol battu, très dépensier en énergie. Et la nuit, cet oiseau se pose… ».
Si le mode opératoire de vol adopté permet d'avoir un billet en classe éco, l'inconvénient, on l'aura compris, c'est le manque d'autonomie. Et quand le moteur crachote sous les plumes - malgré une envergure de 2,17 m des amples ailes de couleur blanche et noire - il faut s'arrêter. Voilà exactement ce qu'a fait la cigogne devenue locataire de la terre corse.
Généralement, cette espèce remonte par Gibraltar ou la Sicile, là où elle est sûre de pouvoir trouver son bonheur en air chaud. Elle rejoint par ces couloirs l'Espagne, la France continentale, l'Italie et jusqu'au nord de l'Europe.
« Le revers de la médaille réside dans le gros effort à fournir entre l'Afrique, où a lieu l'hivernage, et la Sardaigne. À tel point que cela implique le passage par Gibraltar ou la Sicile. La technique de vol explique la rareté de la cigogne. Celle que nous avons observée est visiblement fatiguée et de ce fait n'a pu continuer son trajet jusqu'à la Suisse. Elle est en échec. Il est assez inhabituel d'en apercevoir. Et comme dans la région d'Ajaccio le phénomène est marginal, cela se remarque d'autant plus, ces oiseaux passant davantage par la côte est et le Cap Corse. Les cigognes remontent au printemps, je pense que celle-là va rester pendant quelques mois avant de repartir vers les sites d'hivernage »,poursuit Gilles Bonaccorsi.
Sur le terrain de Campo dell'Oro où il s'est posé, l'oiseau va pouvoir trouver de quoi boire et manger. Mais ce qui est vrai ponctuellement ne l'est pas sur une durée plus longue. « La Corse, comme tout milieu insulaire, ne représente pas un territoire suffisant en nourriture au regard de la période de nidification ».
Un copain héron
En attendant des trous d'air meilleurs, la ciconia ciconia - de son nom scientifique - a de beaux jours devant elle, même si elle est pour l'heure assignée à résidence dans l'île. L'espèce vit en moyenne quinze ans, vingt-et-un ans étant le record absolu.
De plus, la cigogne ne sera pas seule à poireauter, un copain héron ayant fait son apparition.
« Il s'agit là d'un oiseau régulier commun, précise Gilles Bonaccorsi. Depuis la deuxième moitié des années quatre-vingt et les années quatre-vingt-dix, on en voit fréquemment dans la région d'Ajaccio. Il est également arrivé qu'il y ait plus de cent hérons cendrés d'un coup à Biguglia… Leur présence en force est la conséquence de la protection dont ils bénéficient depuis à peu près trente ans. Le héron, un migrateur et un hivernant comme la cigogne, est présent toute l'année, mais niche peu en raison de problèmes de ressources et de tranquillité. Il pratique pour sa part le fameux vol battu et plane moins. Il est donc plus indépendant ».
Demeure une certitude concernant la cigogne. En forme de morale de fable. Celle-là ne transportait aucun baluchon dans son bec. Décidément, tout fout le camp.
Source : http://www.corsematin.com/article/atterrissage-force-pour-une-cigogne-deroutee-de-son-plan-de-vol-initial.715013.html