De la-croix.comCes oiseaux marins se sont particulièrement bien adaptés à la vie à Paris, où ils nichent depuis plus de vingt ans. Photo d'illustration : photos.linternaute.com En ce mois de juillet parisien souffle sur la rue Buffon un petit vent breton… Sans doute la pluie fine qui tombe en averses, ou peut-être les cris de quelques mouettes, qui évoluent au-dessus du bâtiment de botanique du Muséum national d’histoire naturelle. Des mouettes, vraiment ? Non, des goélands ! Juché sur le toit de l’immeuble de paléontologie et muni de jumelles, Frédéric Jiguet, ornithologue au Muséum et membre de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) (1) le confirme, observant trois goélands juvéniles, au plumage encore moucheté de brun.
Il y a là, au total, neuf de ces oiseaux marins et trois nids, insoupçonnables depuis la rue. Moins familiers aux Parisiens que les mouettes, ces laridés, reconnaissables à leur bec jaune pointé de rouge et à leurs larges pattes, sont aussi plus grands : les adultes mesurent jusqu’à 60 cm de hauteur et leurs ailes de géants ont une envergure qui peut atteindre 160 cm. Surtout, à la différence des premières, qui ne sont que de passage à Paris, les seconds ont fini par s’y établir.
Présents depuis plus d’un siècle dans la ville et sa banlieue, c’est au Jardin des Plantes que se sont reproduits pour la première fois dans Paris intra-muros des goélands non captifs. C’était en 1989. Ils sont aujourd’hui près de 200 oiseaux à y vivre à l’année, dont la moitié de nicheurs. Réunis en colonies d’une quinzaine d’individus, ils s’installent sur les toits et les mitrons de cheminée des immeubles haussmanniens. Des sites de nidification de luxe, pour ces oiseaux rupestres qui se fixent habituellement dans les falaises côtières.
«Paris est même la seule grande ville “de l’intérieur” – sans doute avec Amiens – où nichent trois espèces de goélands», lance, mi-fier, mi-amusé, Frédéric Malher, vice-président du Centre ornithologique Île-de-France (Corif). Et cet enseignant, spécialiste des oiseaux en milieu urbain (2), de détailler : avec 35 à 60 couples nicheurs, le goéland argenté, originaire de Bretagne, est le plus prospère. Les couples de leucophées, leurs cousins méridionaux reconnaissables à leurs pattes jaunes, et de goélands bruns, au dos plus sombre et venus de l’Atlantique, se comptent quant à eux sur les doigts de la main.
Remontant les vallées de la Seine, du Rhône ou du Rhin, c’est à la faveur des migrations saisonnières que les goélands sont arrivés à Paris. Mais pourquoi s’y sont-ils donc fixés ? «C’est une espèce qui se porte bien dans son milieu naturel, notamment depuis les années 1960-1970, avec le développement des décharges à ciel ouvert – qui, aujourd’hui, ferment progressivement – et de la pêche industrielle, où elle peut aisément se nourrir, explique Frédéric Malher. Tellement bien, que la place dont elle dispose dans les falaises pour nicher est aujourd’hui limitée, la poussant à chercher d’autres lieux de nidification.»
Surtout, s’ils se sont si bien adaptés à la vie trépidante de la capitale française, c’est que les goélands sont « opportunistes ». Les oiseaux, au demeurant sauvages, réussissent toujours à tirer parti de l’anthropisation – la transformation par l’homme – du milieu dans lequel ils évoluent. Et n’hésitent pas à descendre de temps en temps au sol, au contact des passants, là où se trouve la nourriture. «Ils ne sont pas spécialisés en termes d’alimentation, poursuit Frédéric Malher. Sur les côtes, ils mangent forcément plus de poisson, mais ils n’ont pas attendu d’être en ville pour se nourrir de tout ce qu’ils trouvent, notamment sur les marchés ou dans les poubelles.»
Leur présence est ainsi significative le long de la Seine ou près des points d’eau de la capitale, où ils continuent de pêcher – on a même pu en voir appâter les poissons avec un bout de pain ! Mais, du Marais à la place d’Aligre en passant par le parc Monceau, ils se sont implantés en de multiples endroits de la ville, qui sait aussi se faire accueillante : «Des progrès notables ont été effectués, depuis trente ans, en matière de réduction de la pollution industrielle à Paris», précise encore Frédéric Malher.
Très à l’aise dans ce milieu urbain, les goélands n’y ont, assez mystérieusement, jamais proliféré, à la différence d’autres espèces comme les corneilles ou les pigeons. Est-ce parce qu’ils mettent plus longtemps – trois à quatre années – avant d’être matures et de se reproduire ? À Lorient ou Marseille, ils se comptent pourtant par milliers, leur présence entraînant des politiques de régulation, notamment par la stérilisation des pontes. Mais rien de tel à Paris.
D’ailleurs, au service patrimoine naturel de la mairie, Guillaume Bontemps concède volontiers que «l’unique plainte de nuisances émanant d’un Parisien dont [il se] souvienne concernait les cris d’une colonie de la rue de Rennes, il y a quelques années». Parce qu’ils restent rares et discrets, les goélands suscitent plutôt la curiosité des Parisiens, et l’amusement de leurs enfants. De toute façon, conclut Frédéric Jiguet, «il faut que l’homme accepte de partager l’espace urbain, dont il n’a pas le monopole. Les oiseaux font partie d’une dynamique d’équilibre fondamentale, même en ville…»
Source : http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Sciences/Des-goelands-en-bord-de-Seine-_NP_-2012-08-13-842123