De lorientlejour.comDepuis des années, la chasse sauvage pratiquée au Liban a des conséquences dramatiques sur l’écosystème.Un chasseur exhibant fièrement la collecte de sa sortie. Photo Michel Hallak Habib incarne parfaitement les dérives de la chasse au Liban aujourd’hui, qui est à mi-chemin entre habitude et inconscience. Il raconte dans un groupe de discussion qu’à cette saison, il s’installe confortablement dans son jardin à la tombée de la nuit et branche un projecteur pointé vers le ciel. Il ne lui reste plus qu’à tirer sur des oiseaux aveuglés. Il considère une soirée réussie lorsqu’il rentre à la maison avec une vingtaine de volatiles.
Les mois de septembre et d’octobre voient le Liban survolé par des millions d’oiseaux qui migrent d’Europe vers l’Afrique. Cette migration, si importante à l’écosystème mondial, est pourtant menacée par un phénomène en apparence anodin aux conséquences gravissimes : la chasse sauvage. La chasse est une tradition très fortement ancrée dans les mœurs libanaises, et n’est pas condamnable en tant que telle. Néanmoins, pratiquée dans l’illégalité et dans une dimension aussi importante, elle devient un problème majeur.
Un bilan écologique désastreux
L’ampleur de cette catastrophe écologique et humaine est de taille. Selon la SPNL (Society for the Protection of Nature in Lebanon), ce sont 20 % des espèces qui sont sur le point de disparaître ; les 25 millions de cartouches vendues chaque année renforcent une pollution déjà considérable ; mais le drame est aussi humain, comme le montre le nombre de victimes par balle qui augmente chaque année.
Si la chasse a été interdite en 1995 sous la pression de la communauté internationale et des associations, elle a été réhabilitée et codifiée en 2004, mais les décrets d’application n’ont toujours pas été adoptés, alors qu’en dépendent la mutation de cette pratique et les conditions de la chasse pour les années à venir.
La loi dispose qu’il est impératif de détenir un port d’arme, un permis de chasse valable un an et de pratiquer du 10 octobre au 25 mars. Elle prévoit aussi l’interdiction de chasser dans les villes, les réserves naturelles, les parcs publics et près des habitations ;
de détruire les endroits susceptibles de comporter des œufs ; et d’utiliser les appâts. La chasse n’est ouverte qu’à 10 espèces.
Ces dernières semaines, les lignes semblent pourtant bouger pour une amélioration de la situation. Le Haut conseil de la chasse, présidé par le ministre de l’Environnement Nazem Khoury, se réunit régulièrement afin de finaliser la procédure de l’application de la loi. Mais peut-on s’attendre à une avancée réelle étant donné les obstacles qui se dressent devant l’encadrement de la chasse ?
Une habitude solidement ancrée et un État attentiste
En effet, la loi est difficilement applicable lorsque s’allient tradition et attentisme de l’État. Les chasseurs croient sincèrement, naïvement, sans doute parfois avec un brin de mauvaise foi, que leur action n’est pas condamnable. À l’instar de Habib, les arguments les plus souvent mentionnés sont que le nombre d’oiseaux est suffisamment important pour qu’il soit possible d’en tuer quelques milliers, ou encore que prendre pour cible des oiseaux en migration n’atteint pas la viviflore locale. Julie Lebnan, responsable de l’association « Les amis des oiseaux du Liban », explique que « depuis la guerre, les armes (même automatiques) pullulent, font partie intégrante du quotidien des Libanais, et rendent possible une pratique massive de la chasse ». À cela s’ajoute une méconnaissance complète de la nature et des oiseaux. D’après la SPNL, 74 % des chasseurs n’auraient pas de permis et seraient incapables de distinguer les oiseaux migrateurs des résidents. Julie Lebnan ne mâche pas ses mots et déclare : « Le ministère de l’Environnement et le gouvernement ne semblent pas donner la priorité à cette question, au regard du laisser faire et de l’étendue des dégâts sur le terrain. » Le laxisme de l’État sur cette question se reflète parfaitement dans le nombre de magasins consacrés exclusivement à la chasse qui fourmillent dans le pays, et ne font pourtant l’objet d’aucun contrôle, comme le constate le site Internet Ornithomedia.
Des associations au front
En raison de ces défaillances, ce sont les associations qui montent en première ligne de cette chasse aux chasseurs, exerçant une pression sans relâche sur les autorités. « Les amis des oiseaux du Liban » entend mener des campagnes de sensibilisation, des ateliers d’éducation dans les écoles, des conférences et la création de refuges.
L’urgence d’une intervention
Même si une intervention des autorités semble très difficile à mettre en œuvre, le gouvernement ne peut rester inactif face à ce massacre à la carabine. L’idéal serait de mener une politique de répression plus ferme sur le terrain, mais aussi de faire de la prévention pour sensibiliser une population aujourd’hui particulièrement hermétique au problème. Il s’agit d’être d’autant plus vigilant que selon certains observateurs, le conflit syrien a accentué les ravages du braconnage.
Source : http://www.lorientlejour.com/category/Liban/article/780270/Massacre_a_la_carabine....html