De lepoint.frUn faucon à queue rouge a trouvé refuge à Central Park. Coqueluche des habitants, il est le symbole de la revanche des average people contre les nantis. L'aigle Pale Male a élu domicile à Central Park. © DR Un des résidents les plus connus et les plus respectés de Manhattan n'est autre qu'un faucon à queue rouge. Car, bien que les ponts et les buildings de la ville aient de tout temps abrité des faucons pèlerins, il est le premier de son espèce à s'être adapté à New York de façon aussi incroyable. Pale Male, un faucon à queue rouge, connu pour l'envergure de ses ailes qui peuvent atteindre 1,20 m et baptisé ainsi en raison de ses inhabituelles couleurs pastel, est arrivé en ville en 1991. Jusque-là, rien d'étonnant, puisque plus d'une douzaine de rapaces survolent Central Park ou y font escale chaque année, entre la fin de l'été et la fin de l'automne, dans leur route migratoire vers le Sud.
Un faucon heureux comme un poisson dans l'eau
C'est un jeune mâle immature d'un an qui a découvert Central Park et sa nourriture abondante, avec ses pigeons, ses rats, ses souris, ses oiseaux, ses écureuils et ses ratons laveurs. Il a tenté de s'établir dans un arbre, mais les corbeaux l'en ont empêché. Alors, il a essayé d'autres endroits, dont le balcon de l'appartement de l'époque de Woody Allen, pour finalement jeter son dévolu sur la corniche d'un des immeubles les plus prestigieux de la ville sur la Cinquième Avenue, le 927 Fifth. Et, aussi ahurissant que cela ait pu paraître alors aux spécialistes, il s'y est installé pour de bon. Et il est parvenu à y survivre depuis lors et à y élever 26 petits, alors qu'à peu près 75 % d'entre eux ne survivent pas à leur premier hiver dans la nature.
Aussitôt constatée, sa présence a fait sensation, d'abord auprès de ses voisins les plus proches, puis de tous les naturalistes, photographes et journalistes de New York. Un livre, un documentaire et de nombreux articles de journaux lui ont été consacrés. Sans parler des blogs comme "Urban Hawks blog" et "palemale.com" qui le suivent à la trace. De sorte que Pale Male est très vite devenu une sorte de rock star. Ainsi, ses admirateurs, tels les fans de John Lennon qui se rassemblent encore devant le Dakota, l'immeuble de Central Park West où il a vécu et devant lequel il fut abattu, ont pris l'habitude de se réunir à l'ouest du bassin de bateaux miniatures de Central Park pour l'apercevoir. Et observer, commenter et décortiquer sa vie amoureuse, qui est très mouvementée.
Car, bien qu'il soit un père attentif, apportant de la nourriture à ses petits jusqu'à cinq fois par jour, il est aussi un bourreau des coeurs. Pale Male en est en effet à sa sixième compagne. Il y a eu First Love dès 1992, qu'il a courtisée en lui faisant don d'un pigeon mort ; puis Chocolat, qui est morte des suites d'une collision avec une voiture ; et Blue, qui lui a donné au moins onze petits et qui l'a accompagné de 1998 à 2001, date à laquelle elle a disparu au moment du 11 Septembre, sans doute victime des attaques terroristes ; enfin, Lola, de 2002 à 2010, puis Ginger, qui est morte après avoir mangé un rat empoisonné, et Zena, sa dernière conquête.
Pale Male est devenu un héros intouchable
Pourtant, cette armée d'appareils photo, de jumelles et de longues-vues pointés à 150 mètres du 927 Fifth Avenue n'a pas toujours été du goût de ses habitants, qui ont essayé à plusieurs reprises de se débarrasser de son nid pour retrouver la tranquillité à laquelle ils estimaient avoir droit. Mais c'était compter sans l'extraordinaire popularité de Pale Male. Et cela a donné lieu en 2004 à une bataille rangée d'un an entre les résidents de l'immeuble et leurs opposants, dont la société Audubon de New York et l'association d'amoureux des oiseaux de Central Park, avec la tenue de manifestations, l'engagement d'actions en justice et une publicité ahurissante, dont l'immeuble se serait si bien passé qu'il a fini par capituler en reconstituant une nacelle pour le nid.
Cette querelle ornithologique eut surtout pour effet d'installer définitivement Pale Male dans le rôle du héros qui avait eu le culot de défier les nantis en choisissant l'endroit le plus huppé de la ville pour s'installer. Et les New-Yorkais ne l'en ont chéri que davantage pour cela. Car son histoire est celle d'une réussite comme ils les aiment, celle d'un self made mâle, qui a gagné ses galons de patriarche et de citoyen d'honneur grâce à son adaptabilité, son ingéniosité et sa grâce.
Par Cécile David-Weill
Source : http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/cecile-david-weill/un-aigle-star-de-new-york-08-10-2012-1514540_507.php