De corsematin.comL’espèce est, certes, protégée, mais elle est également passible de mesures de régulation dans certaines conditions. Car ces drôles d’oiseaux moqueurs et envahissants génèrent de très nombreuses nuisances
Photo Michel Luccionni Dans la famille des goélands, les leucophées. Dévoreurs de territoires. Qu'ils défendent bec et ongles. Des oiseaux un poil hitchcockiens. Bien que n'étant pas spécialement agressifs, sauf lorsque l'on s'approche un peu trop des oisillons. Comme quasiment tous les animaux qui ont l'œuf quand il s'agit de leurs petits. Reste que les leucophées sont des envahisseurs. N'hésitant pas à aller dénicher les meilleurs endroits, quitte à déloger les autres espèces. Hors zone urbaine mais aussi jusqu'en ville. Où les nuisances occasionnées sont nombreuses et répétitives.
En Corse, plus de 90% des effectifs nicheurs sont installés sur des îles et îlots marins*. Quelques couples « logent » en ville sur les toits ou les quais. La population nicheuse est passée de 1929-2558 couples en 1980 à 4300-4480 en 1986/88 (soit +75%). Le recensement de 1995-1996 montrait un tassement des effectifs, voire une légère baisse avec 4086-4265 couples. En 2009-2012 un nouveau recensement confirme le déclin, mesuré, des effectifs. La fermeture des décharges et une meilleure gestion des déchets expliquent cette situation.
Inventaire intra-muros
Dans le golfe d'Ajaccio et à proximité immédiate, deux colonies de reproduction importantes sont connues : les Sanguinaires (200 à 1.000 couples depuis 1980) et Isula Piana, rive sud du golfe, sur la commune de Coti-Chiavari (120 couples ces dernières années). Ce qui n'a pas empêché le goéland leucophée de se poser en ville depuis le début des années 2000. En 2008, la population aurait été estimée entre 25 et 50 couples. La municipalité d'Ajaccio a, d'ailleurs, commandé un inventaire des goélands nicheurs intra-muros cette année.
Enfin la base d'Aspretto, dans la banlieue ajaccienne, accueillait jusqu'à 2009 de plus en plus de couples. Les oiseaux profitaient de la quiétude offerte sur le site du fait de la présence d'une colonie - protégée - de goélands d'Audouin. Environ 30 couples ont tenté de s'implanter en 2008. Les autres grosses colonies corses sont à plus de 60 km, vers le sud.
L'espèce est protégée en France, mais des mesures de régulation sont autorisées dans certaines conditions, car des problèmes se posent ponctuellement. Afin de réguler les effectifs, un plan avec un pilotage technique assuré par la Dreal** - direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement - a donc été mis au point. Puis présenté en février 2009 aux élus et différents responsables-gestionnaires d'espaces naturels et sensibles du grand Ajaccio, sous la conduite du préfet de département.
Concurrence parfois féroce
Ce plan d'action en ordre de bataille vise à diminuer les dommages causés par les oiseaux. Objectif : non pas plumer jusqu'au dernier les volatiles. Bien plutôt, contrôler leur prolifération. Bataille rangée donc mais fair-play. À la clé, un état des lieux tendant actuellement à redevenir satisfaisant. Comme l'explique, Bernard Recorbet, à la tête de la division biodiversité terrestre, à la Dreal.
« Il était indispensable pour vérifier que les mesures prises avaient porté leurs fruits. En effet, les goélands leucophées sont à l'origine de risques divers et multiples. D'une part, ils peuvent entrer en collision avec les avions. Plusieurs incidents ont été constatés à Ajaccio dans les années 2000. D'autre part, ils sont problématiques pour les riverains lorsqu'ils nichent en ville ou s'attaquent aux sacs poubelle pour en consommer le contenu. Les nuisances sont sonores, interférant également avec des questions de santé publique. A Ajaccio, certains quartiers sont particulièrement concernés ».
Le leucophée ne fait pas, non plus, bon ménage avec les espèces végétales endémiques et non nitrophiles - notamment la Silène veloutée en Corse - sur les îlots où l'on constate forte hausse des effectifs de reproducteurs. En outre, il mène une concurrence parfois féroce à d'autres espèces d'oiseaux dont il prédate les poussins sur les sites de reproduction. C'est le cas en Corse avec le goéland d'Audouin.
« Après trois ans de mise en œuvre, notamment des délivrances de dérogations pour détruire les oiseaux nuisibles à l'aéroport, à Aspretto et sur l'ex-décharge ainsi que la fermeture de la décharge en fin 2009, il convenait de faire le point sur l'évolution des effectifs de cette espèce. »
Pointage à la loupe
Au regard des chiffres réactualisés du recensement, une première bataille vient d'être gagnée. La dernière opération en date s'étant déroulée le 27 avril, sur le site des Îles Sanguinaires, dans le golfe d'Ajaccio. Dix-huit personnes, sous la conduite de Bernard Recorbet, ont balisé le terrain. Au sein d'une équipe composée de la Dreal, du conseil général (propriétaire des lieux), de l'office national de la chasse et de la faune sauvage et d'un botaniste au nom prédestiné Guilhan Paradis. Pour un comptage qui n'était pas si évident que cela.
« Les premiers couples s'installent en mars et la reproduction s'étale jusqu'en mai avec un maximum de nids présentant des pontes à la mi-avril. La meilleure période de recensement se situe donc dans la première quinzaine d'avril. Le comptage 2012 réalisé durant la journée du 27 avril est donc un peu tardif, mais il est dû à une météo mauvaise qui nous a obligés à reporter la sortie prévue initialement une semaine plus tôt. Les nids sont situés
en général en terrain découvert (dans plus de 90 % des cas) et plus rarement sous les lentisques. L'homochromie rend cependant assez difficile la découverte et les effectifs donnés constituent une base. Chaque nid compté est noté avec l'état de la ponte et marqué avec un petit papier de couleur pour éviter les doubles comptages. Les observateurs avancent conjointement sur un secteur donné de manière rapprochée. Pour les sites prospectés les effectifs nicheurs minimums donnés correspondent donc au nombre de nids avec pontes, sans ponte (non encore déposée) ou avec poussins ».
Le pointage sur le terrain est donc assez aisé mais a contrario l'ensemble des surfaces non arbustives offrent des potentialités d'accueil nécessitant un parcours systématique, en particulier sur Mezzu Mare (NDLR, la grande île) qui couvre 14 ha avec parfois du relief et du maquis dense.« Les réajustements successifs des chiffres permettent d'observer les tendances,précise Bernard Recorbet, sachant qu'il est illusoire de pouvoir être exhaustif ».
La mise en balle fait le vide
Il ressort de ces observations une forte baisse de la population des goélands leucophées, à mettre en rapport avec la fermeture de la décharge d'Ajaccio et les actions conjointes.
La décharge à ciel ouvert de Saint-Antoine a, en effet, fermé en 2010. Située à moins de 3 km des Îles Sanguinaires et moins d'1,5 km d'Ajaccio-centre, elle réceptionne l'équivalent des déchets de 70 000 habitants. Entre 400 et 1 100 oiseaux la fréquentaient en permanence avant 2010.
Depuis la mise en place de l'unité de mise en balle, cette nourriture n'est plus disponible. Ce qui permet a priori de limiter les effectifs des leucophées sur le Grand Ajaccio. Moins de nourriture disponible faisant baisser le taux de survie des jeunes et diminuant la fécondité.
« Même si le résultat était attendu, le recensement a permis de constater que les nids n'étaient pas garnis d'autant de déchets que par le passé. Le plan d'action s'est, par conséquent, révélé efficace. Les populations de goélands leucophées étant revenues à des valeurs plus raisonnables, avec en parallèle une diminution des nuisances ».Tout cela, sans y avoir laissé trop de plumes…
* Nid sommaire constitué - à même la terre - de brindilles, la ponte étant généralement de 1 à 3 œufs.
** Les partenaires suivants sont associés à ce groupe de travail :
Dreal, Capa, ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage), DGAC (direction générale de l'aviation civile), CCI/aéroport d'Ajaccio, ville d'Ajaccio, conseil général, Marine nationale.
Sources : http://www.corsematin.com/article/corse/goelands-leucophees-ne-pas-faire-lautruche%E2%80%A6.652025.html