FAUCONNERIE En Haute-Savoie voisine, il est un parc animalier d'un genre particulier. On y élève aigles, faucons, vautours, hiboux... Le public peut leur rendre visite.
La petite chouette effraie, le visage en forme de coeur, est contente: un peu de sang de poussin aux commissures de son bec dit le bon repas qu'elle vient de faire. Cette petite boule de duvet n'a qu'un mois. A côté d'elle - le sait-elle? - un gros congélateur plein de morceaux de sangliers, de poussins, de rats, de poissons, de cobayes, de cailles. "Un restaurant pour animaux", rigole Jacques-Olivier Travers, propriétaire et fondateur des Aigles du Léman, à Sciez, entre Evian et Thonon. C'est qu'il faut nourrir 147 oiseaux nés pour la plupart ici. "On ne prélève pas les oiseaux dans la nature", précise Patricia Colomb, directrice du parc, suivie à ce moment-là par une bande de cigognes et un cormoran aux yeux bleus énamourés. "Mais on ne le remet pas non plus dans la nature. Il y a des programmes de réintroduction pour ça. Chacun ne fait pas ce qu'il veut".
Dix à quinze naissances par année
Pour conserver un patrimoine génétique suffisant, afin que les espèces ne disparaissent pas, les Aigles du Léman procèdent à des échanges dans le monde entier. La femelle de condor (il en reste 3000 au monde) réjouit beaucoup Jacques-Olivier Travers: elle pond des oeufs même s'ils ne sont pas fécondés. C'est très rare et de bon augure. Reste à trouver le mâle. Ce n'est jamais le bon, et le parc les change régulièrement.
Chaque année, entre dix et quinze oiseaux naissent à Sciez. Les oisillons sont nourris à la main pour qu'ils fassent connaissance en douceur avec l'homme. Durant un an et demi, ils ne participeront pas aux démonstrations de vol. Il s'agit là de s'habituer au groupe de ses congénères et de tâter de la hiérarchie. Un petit vautour fauve, trois mois et déjà très impressionnant, joue avec tout ce qu'il trouve: fleurs, lacets, bague de celui qui va entrer dans sa volière.
Genèse d'un rêve
Jacques-Olivier Travers, 39 ans, âme du parc, est habité depuis très longtemps par les oiseaux. Enfant, il recueillait les oiseaux tombés des nids: pies, corbeaux, qu'on lui apportait et qu'il remettait sur pied. "Enfant, j'ai vu un spectacle de fauconnerie", explique-t-il. "Je me suis dit: "Ces gens sont des dieux!". Toutefois, il va étudier le droit et le journalisme. Un peu pour faire plaisir à ses parents. Et puis à 20 ans, l'envie est plus forte d'ouvrir son propre parc animalier. Il contacte la mairie de Sciez. Celle-ci met neuf hectares à sa disposition pour qu'il en fasse une "entreprise touristique à vocation environnementale". Il a mis quatre ans pour monter son projet, années pendant lesquelles il travaille au journal "Le Progrès" à Bourg-en-Bresse. "Le parc est le fruit du travail et de la chance", assure- t-il. Les Aigles du Léman ont ouvert leurs portes en 1997 avec 17 oiseaux. Les quatre premières années ont été difficiles, il fallait beaucoup investir. Et puis la réputation du parc a décollé en 2003, quand la marque Omega fait appel à Jacques-Oliviers Travers. Elle cherchait un aigle pour apporter une montre à Cindy Crawford sur le green de Crans-Montana. Depuis, les oiseaux de Sciez ont partout la cote: fêtes médiévales de Sail-lon, tournages divers, événements en tous genres (mariages, etc.) En outre, "Sharkan" le pygargue à tête blanche, mascotte du HC Servette, apporte le puck de toutes les rencontres à domicile.
Retour à la nature
L'an prochain, les premiers oiseaux nés au parc seront réintroduits dans la nature. Ce sont des aigles pêcheurs qui auront ce plaisir. Mais avant ce grand moment, l'équipe du parc leur aura appris à voler et à pêcher. Pour voler, Jacques-Oliviers Travers les accompagne dans les airs. Faisant fi de son vertige, il a appris à se servir d'un parapente. Après 100 à 200 heures de vol, l'oiseau saura se débrouiller seul.
"Il y a deux manières de voir la sauvegarde des rapaces. Soit vous empêchez l'homme de pénétrer son territoire, soit vous les faites cohabiter", estime le fondateur du parc. "On peut aussi sauver une espèce (- on l'a fait avec le condor en Californie - en le retirant pour un temps de son biotope, en le restaurant et en replaçant ensuite les oiseaux. J'aime mes aigles pêcheurs et j'ai envie de les voir dans la nature. Cette méthode a fonctionné avec des chimpanzés. Cela devrait marcher avec les aigles, qui sont moins intelligents."
Dans et au-dessus du parc, des oiseaux. On demande, pointant le ciel: "Il est à vous, ce héron?". Jacques-Olivier Travers rit: "Non, Dieu merci: tous les oiseaux du parc ne sont pas sous notre responsabilité." Et de relever que malgré la présence des rapaces, de nombreux oiseaux indigènes nichent dans le parc: bergeronettes, moineaux, pigeons. Eux aussi ont trouvé à Sciez "un endroit pour vivre", comme aurait chanté Sheller.